Archives quotidiennes : 12-avril-2014

Petit homme numérisé

Téléphone intelligent

 

C’est fou comme les gens sont comme des lapins dans leurs pièges, numérisés.

Hier, comme par hasard, habillé comme un ours polaire, je suis allé à bicyclette faire un tour dans le villages. Il y avait des plaques de glaces, des bancs de neige, des maisons vieillottes, des nids de poules. Et l’air était glacé… Un beau vent du Nord, avec ses petites gifles.Et  d ans le ciel frisotté de nuages, on aurait dit des artistes qui passaient tracer des tableaux mobiles d’ombres.

Je me suis arrêté à la pharmacie. Quand on devient vieux, dans notre « monde » de falsificateurs prétentieux, tous livrés à leurs spécialités, sans trop savoir d’où ces produits proviennent, on dépense plus en pilules  qu’en aliments…. C’est vrai que l’on a un problème: trop de vieux. Pour survivre, ils s’en vont alors à cette nouvelle fontaine de jouvence chimifée pour allonger leur parcours sur Terre.

Qu’est-ce qu’on a contre la vie? Contre la mort?  Nous ne sommes que de petits passants sur terre. Une balade dans ce monde de chair, avec toutes ces souffrances… Inévitables. Pendant qu’une armée de troc-sans coeur passe les sociétés à la moulinettes pour tout écraser.

Savoir être simple… Savoir les limites du petit voyage de chair. Regarder en face l’immensité et la complexité du monde, sans ces  religions – plus dévastatrices que toutes les armes créées pour assassiner.  Savoir danser en noir et blanc et non devant un amas de plaisirs solitaires. Voilà les gens dans une nouvelle masturbation du cerveau…

Mais j’ai rencontré, sur mon parcours, Joseph. Je ne sais pas depuis quand il ne s’est pas lavé. Je l’ai eu comme élève. Il ne se lavait pas souvent non plus.  On le dirait drogué. Mais il ne l’est pas. Il fume comme une centrale au charbon, sa moustache est devenue blanche comme poudre, son visage ballonné, ses dents cariées.

Mais il était encore vivant malgré sa crise cardiaque.

Maintenant, il travaille à aider les plus vieux…  Aide en milieux bla! bla!  bla! Ces vieux que l’on enferme comme des poules en cages, en attendant…

 

***

Je suis allé, deux jours plus tard chez un homme enfermé dans un appartement , avec une panoplie d’appareils sophistiqués. Il ne me parla que de ses appareils. Sa tour, ses deux écrans, ses téléphones, sa télévision, son Wifi. Tout sans fils, pourtant dans ses en fils emmêlés. La seule confidence qu’il m’ait faite: en attendant de finir sa vie. Ou la peur de  l’imminence de la mort. Se laisser glisser dans une sorte de filet électronique.

Pas un mot le concernant, ni sa famille, ni ses enfants, ni son poisson rouge. En sortant de son petit appartement qui donnait sur une cour arrière étroite, une façade d’arbres accrochés à une muraille de terre,  j’avais l’impression de sortir d’une prison.

C’était l’histoire d’un petit homme enfermé et lié à ses « machines ». Sorte de version moderne des Temps modernes de Chaplin. Si le monde actuel consiste à s’empoisonner avec la nourriture chimico-mondialiste, il y a maintenant pire: la culture des rapports humains sans humains.

Si Joseph ne se lave pas, a l’air un peu dégueulasse avec ses doigts jaunis par le tabac, que son cerveau se déplace comme une tortue unijambiste, peu importe.

Il y a de la vie. Je sais… Joseph ne prend pas un bain tous les jours. Mais je l’ai suffisamment connu pour savoir qu’il prend soin de ses vieux mieux que de lui.

Peut-être que le plus grand massacre de l’humanité est invisible. Les seuls que l’on a pu voir – avec frayeur – sont les corps brûlés, affamés, décharnés, malades.  Maintenant, la saveur du siècle se dirige vers une destruction intérieure.

On ne sait pas danser.

On ne sait pas aimer.

On se lave à tous les jours.

On est parfaitement modelés et parfaits. En pensant qu’on l’est.

Et on a le vernis des intellectuels embaumés qui vous font de grandes analyses des courants de l’Histoire, les conspirations, la politique, les arnaques de la CIA, et le reste.

Ça aussi, c’est une sorte de numérisation d’un humain machiné dans l’ignorance et bouffi de son savoir.

Le problème n’est pas de savoir, c’est d’appliquer ce que l’on est et non pas ce que l’on a accumulé. C’est demeurer intégré à la vie, et non pas intégrer ses pilules électroniques.

Qui donc est certain que l’écran que l’on regarde n’est pas qu’un infime pixel qui nous fabrique lentement, à doses infimes, pour nous désamourer?

On ne peut pas aimer la vie si nous aimons une machine plus que la Vie!

C’est mourir à petits voeux pieux mais totalement inutiles.

 

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Gaëtan Pelletier

12 avril 2014