
Famille Ovitz
*
Cependant au même moment, la famille est conduite en chambre à gaz. «Soudain, nous avons senti le gaz, raconte Perla au Guardian. Nous haletions lourdement, et certains d’entre nous se sont évanouis. Plusieurs minutes sont passées, peut-être des secondes, puis nous avons entendu une voix en colère venant de l’extérieur: »Où est ma famille de nains? » Source
============================
Quand j’étais enfants j’avais une tante naine avec qui acceptait de jouer avec moi. Elle était aussi grande que moi. Ou aussi petite… Elle habitait une maison de campagne qui longeait une voie ferrée. Elle menait un tout petit train de vie. À chaque fois que j’allais la visiter, un pain de ménage, bien chaud, nous attendait. Elle riait tout le temps et sniffait son tabac à priser. Le tabac à priser a disparu et la naine aussi. C’était il y a longtemps. Au temps où personne ne coupait son gazon. L’alentours de la maison étaient en broussaille, avec de longues tiges qui dépassaient souvent les fleurs, mais qui réussissaient à rendre tout ça beau en couleurs. Au fond, dans les grandes herbes sèches qui dansaient dans le vent comme les gens dans les concerts rock, il y avaient de ces petites fleurs humbles qui cachaient leurs robes. Avec des parfums qu’on ne trouvait pas dans les bouteilles. Si ça avait été de la musique, on aurait eu tout le nez rempli de notes de piano ou de violoncelle. Le ciel était picoté d’insectes. Mais c’était beau parce que la tondeuse à gazon et les vendeurs de tapis vert n’étaient pas encore allés dans le coin vendre ce qu’on appela plus tard le gazon. Quelques villageois commencèrent à trouver » la mauvaise herbe laide ». Un monsieur bien habillé les avait convaincus: : « Le gazon, c’est l’avenir. On va vous débarrasser de vos pissenlits… » Mon grand-père avait le sens de l’humour à partir des yeux. On dirait que le nid du rire était là. Puis ça lui descendait dans le visage: il retroussait ses joues et répondait – avec quelques dents en moins- mais assez pour soutenir une pipe.
– Oui et « nain » … Quand on aura de l’argent…
– On peut vous étendre les paiements sur 12 mois…
– Et si on ne paie pas, vous allez nous remettre la mauvaise herbe.
***
Elle n’a pas eu de carrière, ma tante. Elle est décédée sans CV. Elle est DCD. Elle est restée dans un recoin de la Vie. Pas de CV, mais pas triste. Au contraire: nous regardions ensemble la télé avec des rires qui éclataient comme du maïs soufflé. Une émission de marionnettes: Panpan ou Pampam. Je ne savais pas écrire, mais je savais rire jusqu’à avoir des étoiles dans le regard . Elle, elle riait comme si le soleil avait fait son nid dans ses yeux. Et moi je me disais – enfin, un peu plus tard -, qu’on trouve la vie drôle quand on est petit: il l y a quelqu’un qui te donne à manger… Et ce n’est pas l’État, c’est l’amour. Et quand quelqu’un de donne de l’amour, ce n’est certainement pas l’État…
C’est triste à dire, – je me répète -, elle n’a pas eu de carrière. À l’époque, quand tu étais nain, tu avais le choix de deux carrières: s’exhiber dans un cirque ou être lutteur.

Tu ne pouvais pas être mannequin ou vendre des crèmes dans les circulaires des pharmacies. Elle n’avait pas de grandes jambes qui n’avaient rien mangé. Elle avait des billots accourcis qui la traînaient dans une démarche de pingouins. En fait, je ne savais pas qu’elle était naine. J’étais trop petit pour le savoir. Quand on est petit, on ne sait pas qu’on est petit. Il faut être grand pour le savoir.
Mais un jour, quelques années-jours plus tard, quand je suis entré dans la maison de grand-père, ma tante avait rétréci : sa tête n’était pas au niveau de ma tête. Je me demandais ce qu’il lui était arrivé. Il y a des jours comme ça où on est bête et stupide . Car, dans les faits, c’était moi qui avais pris une tête de trop: celle des adultes.
Oui, une tête d’adulte. Mais je ne l’ai pas gardé longtemps cette tête d’adulte. Ça m’avait appris à être sceptique concernant la grandeur des humains. Pas une grandeur physique, mais une grandeur qui cherche dans les autres des dieux. Ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas ailleurs, au contraire, il y en a partout. Il faut apprendre à regarder avec de ces yeux qu’on ne voit pas, mais que quelques-uns voient. Je me suis mis à regarder en fermant les yeux. Puis, à force de regarder, bien des géants devinrent petits . Je grandissais en dedans comme tout le monde devrait faire. Mais ce n’est pas donné à tout le monde de grandir en dedans. Il y a trop d’acheteurs des devis de son être. Des plans préparés… On a peur de se bâtir ou de se découvrir. On a peur de ne pas être à la hauteur… On a peur du ridicule. On a peur d’être nain…
Quand on s’attarde un peu à ces gens claqués , qui n’ont plus de pays, qui courent les mers en radeaux de sauvage pour aller quelque part pour vivre, simplement vivre, on voit bien qu’on a été des non-voyants longtemps. Les grands des pays, c’est comme dans les écoles quand j’étais enfants: les grands tapaient sur les petits. Maintenant, les présidents, les PDG, les hypocrites à cravates tapent sur les petits. Et les petits pleurent. Les petits ont peur. Ils se taisent comme un silence qui attend un piano. La Terre est comme une école à rétrécir les enfants jusqu’aux géants, mais pas très différents des « preachers » de ces sectes qui au nom d’un dieu manipulent les petites gens. Les nains servent souvent de marche d’escalier… Les ambitieux veulent toujours un autre étage.
***
Ma tante est morte dans son lit. Toute seule. Comme une grande. Il n’y a pas eu de cérémonie . Pourtant, elle n’avait tué personne. Je dis ça parce que souvent les gens qui ont de près ou de loin tué bien des gens parce qu’ils étaient grands ont de grandes cérémonies. Avec des fleurs qui poussent sur les corbillards. Tout le monde est habillé en noir et il pleut à noyer des larmes. On pourrait nager dans les yeux des autres, tellement il y a des tristesses. De vraies piscines sur les joues … Alors, pas besoin de se forcer pour pleurer… Un dieu de passage est parti. De temps en temps, dans l’Histoire, ces dieux de passage laissent tellement de cadavres derrière eux qu’il ne vaut pas la peine de s’attarder au leur. Mais bon! Les hommes courent des marathons pour attraper des petits dieux…
***
Ma tante avait une télé, mais elle écoutait la messe à la radio. C’était comme un Om̐ de méditation. Elle fermait les yeux en priant. Pas pour ne pas voir la radio, mais pour voir ce qu’elle pouvait trouver en elle. Elle égrenait son chapelet. Chaque grain était comme une petite granule. Comme si elle avalait des pilules de lumière. Ça peut paraître imbécile! Des pilules de lumière! Comme une pharmacie dans ses mains. Une chambrette d’hôpital pour l’âme!
***
Un jour, je l’ai vue sortir et aller dans le champ derrière la maison. Elle avait un chapeau fleuri et marchait à travers les mauvaises herbes. C’était beau de la voir marcher. Des fleurs qui marchent! C’est rare sur cette Terre! Le plus souvent, on les rase pour voir s’il n’y a pas de pétrole qui pousserait.
Ma tante ne parlait pas beaucoup. Son visage était le message…
***
Un jour, alors que j’étais à la hauteur de ma tante, nous sommes allés cueillir de petites fraises des champs. C’était un 25 juin. Les champs étaient comme des toiles de Van Gogh:

on crevait de chaleur. Ma tante était à genoux et égrenait les fraises. Quand elle en mangeait une, elle devenait les doigts tout rouges. Puis elle disait: tout est lié. Puis elle a dit une chose étrange: « Si on mange de la couleur, on mange peut-être toutes les couleurs… Et si on mange une fraise encore vivante, on doit bien manger du vivant. » Elle scrutait les petites fraises comme si c’étaient des soleils cachés sous les marguerites. » C’est comme leur parapluie… » Je n’avais rien compris à l’époque .
***
J’ai essayé pendant des jours et des jours de me souvenir de son nom. Quand elle est décédée, il n’y avait pas d’internet… Ça m’est revenu un jour, alors que je plantais un clou dans un morceau de bois. Il a jailli du sang. J’ai vu comme une fraise sortir de mon corps. Une bulle infime et douloureuse. Puis bing! Ma tante Yvette.
***
Aujourd’hui les gens n’arrêtent pas de bouger. Ils sniffent de la bougeotte. Et quand ça ne bouge pas assez vite, ils s’achètent une auto. Parfois deux… Ça va deux fois plus vite… Mais ceux qui ne veulent pas bouger parce qu’ils ne sont pas fait pour bouger, ils se font fouetter avec des lacets de fonctionnaires. Un fonctionnaire, maintenant, c’est comme un chef de galériens. Obligés de fouetter parce qu’au fond il est chef de rien. Sinon, le bateau serait à lui…
***
Les petites gens bâtissent le monde et les grands le détruisent. Ma tante ne porte pas le nom d’un pont ou d’un porte-avions. Selon les critères des Occidentaux, elle n’aurait rien accompli. Qui donc peut demander aux fleurs d’accomplir quelque chose? Même le plus plissé des bourgeois ne demande rien aux fleurs. Il n’y comprend rien. Il dira qu’elles sont trop chères… Mais chères à ne les acheter que pour les funérailles… Les grands ne vont pas cueillir de ces petites fraises des champs. Ils sont trop grands pour se pencher aussi bas. Mais ils savent être encore plus bas dans certains domaines…
Depuis des siècles et des siècles les petits ont servi de nourriture aux géants qui finissent avec des noms d’autoroutes, d’aéroports, de lacs, de buildings, ou de fondations…. Les grands continuent de grandir. Jusqu’à ce qu’ils puissent acheter presque toutes les petites gens. Ils en font des soldats, des fonctionnaires, des travailleurs, des administrateurs … Le nain c’est le caviar du riche. Des œufs… Même si c’est écrit dans la bible: « Aimez-vous les œufs les autres ». Il y en a qui changent les mots et qui ne comprennent pas du tout le message.
Quand un nain sait faire pousser des carottes nantaises dans son potager, on veut acheter le potager et le nain. Le nain n’aura plus le temps de se promener à travers les champs, les pousses rudérales et chercher les fraises des champs. Non. Il est conduit vers la chambre à gaz du nouveau nazisme planétaire. Je sais ce dont je parle: j’ai une fournaise à granules de bois. Et quand j’ouvre un sac de granules, je ne vois plus les arbres. Pas de bûches. Rien que des arbres désessinés. On ne peut pas voir l’arbre, à moins d’être aveugle.
Et c’est ainsi que depuis le siècle en cours fait courir tout le monde. Les gens qui ont de petites jambes doivent bouger encore plus vite pour la croisière vers nulle part. Je ne sais toujours pas pourquoi on se dépêche pour aller ver un trou dont on ne sait rien. Je pense que ma tante se sentait si petite qu’elle n’avait jamais eu idée d’être à la hauteur des autres. Les humains sont ainsi: ils ont peur de ne jamais être assez grands.
C’est pour cette raison que le « monde va mal »: ces sont les petites gens qui devraient être les grands. Mais non! l’à-plat-ventrisme ça vous réduit quelqu’un à un x aux élections. Les grands bousillent tout. Ils veulent de grosses fraises, du gaz de schiste et de l’or qui se mange….
Mais il se pourrait un jour qu’un un de ces nazis planétaires vous crie: « Où est ma famille de nains? »
Gaëtan Pelletier
2015