
« Depuis ce jour, quand je me vois dans une glace, je vois mon permis de conduire… » (GP)
» Le fumier sert à enrichir les champs et les banques ». Robert Meunier, fermier inconnu du net.
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Ce matin, je suis allé à une institution financière, honteux, pour faire réactiver ma carte de débit. J’avais inscrit deux fois le mauvais NIP, et plouc! Le système automatisé me refuse l’accès à mon conte. Investir ou encore « préparer » ses vieux jours, c’est un conte en banque.
Mais bon!
C’était pendant une canicule, parce que mon corps ne supporte pas les alentours de 30 degrés. Dehors, ça vacarmait à n’en plus finir avec les travaux d’aqueduc. Au Québec comme ailleurs, on est caduc partout. Tout le monde a des tuyaux pour faire pousser de l’argent à travers l’asphalte.
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L’institution financière serait un fleuron du Québec. Si on la prononce bien, on obtient un potager comme dans « Des jardins ». Mais là, il n’y pousse que de l’argent. Construire pour aider les petites gens, elle s’aide maintenant elle-même en jouant dans le grand circuit de la mondialisation :Money for Nothing, comme dit la chanson.
Je me dirige vers le comptoir, présente ma carte à une jeune employée. Elle est nerveuse à frémir du regard. Un regard d’écureuil qui a un chien devant lui, sous l’arbre, mais vêtue comme les lys des champs. C’est tellement beau que j’enlève mes lunettes pour ne pas la voir.
En fait, je ne reconnais plus personne. Avant, c’étaient des voisins d’un petit patelin rural qui y travaillaient. Alors, on s’informait de la vie des enfants, on rigolait et on promettait de se rencontrer lors du prochain festival. Car tous les villages du Québec ont des festivals. À Sainte-Perpétue, on a le Festival du cochon. Il faut – entre autres- attraper un cochon graissé. Je sais que c’est difficile à imaginer, mais une image sera parfaite. On graisse le cochon et on essaie de l’attraper.

Photo: Yves Charlebois / Agence QMI
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Mouton: retour aux…
Je lui explique le cas, mais elle dit ne pas pouvoir m’aider. En fait, elle ne sait pas comment faire.
– Allez à l’accueil.
À l’accueil, on me dit qu’on n’a pas les outils nécessaires pour activer la carte. – Allons au comptoir.
Oups! J’ai perdu mon rang dans la file. Et la fille dans mon rang. Cette fois, c’est un jeune homme qui a sans doute terminé son secondaire, mais duquel émane un flegme rassurant.
On me demande une carte d’identité. Je tends mon permis de conduire avec cette photo obligatoire de « sans sourire », aussi triste que le monde « contemporain » : c’est-à-dire que vous avez l’air de quelqu’un qui vient de sortir d’une prison. Aujourd’hui, t’as plus le droit de sourire, même devant un guichet et des « personnes réelles » un peu imbibées du robotisme du monde des affaires.
La meilleure question revient à la dame en cheveux jaunes est celle dans laquelle elle me demande combien de fois j’ai tapé mon NIP ( Numéro d’Identification Personnel) avant que la carte me soit « retirée ».
– 2 fois.
Soupçonneuse, elle me regarde et ajoute :
– Pas trois fois?
-Non, deux.
– Mais on vous a affiché : VOTRE CARTE VOUS EST TEMPORAIREMENT RETIRÉE?
C’est étrange! À la banque, on ne sait plus compter jusqu’à trois : deux essais. Car elle m’avait demandé combien d’essais. En plus, quelle carte? La carte de la « machine » se nomme carte de débit. Et non pas carte de crédit…
C’est du delirium
–Venez au comptoir.
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Beau bureau! On se croirait à Dubaï. Du moins dans un ascenseur… C’est lustré jusque dans les recoins. Des vitres, des chaises chromées, des dames or donné…
-Bon, je vois que vous avez un mot de passe de seulement 5 lettres :
*****.
– Ou chiffres… ai-je souri.
– Pour votre sécurité, vous devriez avoir un mot de passe plus … complexe…
A fin de ne pas être victime de vol.
Bien bonne celle-là! Un voleur sait qu’il n’a pas droit à plus de deux tentatives, alors il vous vole votre NIP avant votre carte. Happy together! 🙂
-Madame! On ne peut même pas se voler soi-même…
-Je vous conseillerais…
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais nous vivons dans un monde de « conseillers spécialistes ». Il en pleut. Ils sont partout. Goutte à goutte. Goûte et dégoûte. Des blattes d’institutions. Ils sont tous savants, spécialisés, avec leur petit diplôme affiché au mur. Ils nous arrosent de conseils comme si nous étions des abrutis. Des séchés à froid.
J’ignore si j’avais tort, mais je me voyais comme participant au festival du cochon de Sainte-Perpétue. Mais c’est qui le cochon? Quand on vous demande 7 % à 12% pour un prêt et qu’on vous en donne 1% pour vos placements, j’ai vite compris la raison pour laquelle grand-papa gardait ses avoirs dans un cochon-tirelire. Mais plus encore : au festival, ce n’est jamais le cochon qui, même en gagnant, mange l’humain qui le saisit et le rôtit après la fête. Non, le cochon est un amusement pour le public. Il y aurait eu une foule record au festival cette année. 6000 personnes. Soit le double de la population du village. Et mon « institution bancaire » aurait fait des profits records dans un monde au prêche d’austérité. Prêchons! Prêchons! Dépêchons-nous de prêcher…
Ma photo de permis de conduire est maintenant installée dans tous les visages du « pas le droit de sourire » parce que les affaires sont sérieuses. Quand on parle d’argent… On ne parle plus de la vie. On est des androïdes à la Philip K.Dick. Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?. Ma photo est laide comme toutes les photos des gens qui ne peuvent dévoiler leur sourire. En plus, comme dans le Blade Runner de P.K. Dick, on doit prouver que l’on a un passé pour prouver que l’on est vraiment des êtres humains et non des androïdes. Mais il s’avère que l’on active le système pour faire le contraire.
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– Monsieur! Monsieur! –
Votre NIP?
-Bon, je vais en choisir un. Mais j’hésite entre deux.
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Je tape :
« levoleurdecartes »
– Ça m’a l’air pas mal.
– Un autre?
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« jaiperdumonnip ».
– Êtes-vous sûr de vous en souvenir?
Gaëtan Pelletier
5 août 2014