Archives de Catégorie: LITTÉRATURE

Le réveil-oiseau ( Gaëtan Pelletier)

Enfants à flute

Je rêve de redevenir vieux et tranquille. Ridé comme un océan, mais l’esprit lisse comme un enfant qui joue de la flûte sans rêver d’être Mozart et enchanté.

Et j’y travaille, tout paresseux, et c’est bien ainsi. Hier, dans le jardin, les oiseaux cherchaient des vers comme des poètes affamés. Je les louchait, en souriant, parce qui donc aujourd’hui s’attarde aux oiseaux?   Les enfants vont sur le net pour les voir…

Les oiseaux poussent dans les arbres. Mon voisin a tellement d’arbres que le terrain sur lequel nous habitons est une sorte de banlieue. J’étais assis, au petit coin d’ombre, sur la marche que j’ai poli dix fois, toute égratignée. Un peu à l’image du monde: plus il en passe, plus il est éraflé.

En ce moment, la Terre a l’aire d’une tête de juive conduite dans un camp de concentration. On fera des tapis avec le poil!. J’ai vu tous les écrits savant du net. Enfin! Pas tous. Mais comme ils sont gémellaires, on finit par rendre sa lassitude et soupirer.

Je reviens aux oiseaux… Une fois le jardin arrosé, dans les minimes crevasses, dans les creux en bols, ils y ont trouvé une piscine. Je ne sais pas qui j’ai pu rendre heureux en ce monde, mais les oiseaux avaient l’air de se farcir de ce festin d’eau. Ils batifolaient, s’ébattaient, et dans cette belle frétillance, un mouvement si rapide, en ressortait une sorte d’aura d’eau Eldorado. L’eau est un trésor… Et nous sommes constitués d’au moins 70% d’eau. On peut donc servir à la fracturation du gaz de schiste…

Les oiseaux me reviennent.

Ce que je déteste des oiseaux est de les voir lever la tête et demander au ciel où se trouvent les vers, les graines, les pailles, alors que nous il nous faut calculer, embaucher une firme d’ingénieurs, la tête haute, casqués.

Le réveille-oiseau

oiseau

De temps en temps, j’écris la nuit. Les oiseaux me réveillent… Quand ils commencent à chanter, la fenêtre est ouverte, l’air entre, le rideau fait des flaques sonores sur l’encadrement. Les oiseaux me réveillent pour me dire que le temps d’écrire est terminé.

J’enlève mes ailes et je m’en vais sur mon oreiller sans plumes. Le petit cadran volant me dit d’aller au lit-nid.

« Dieu » leur a implanté une sorte d’instrument à vent dans la gorge… Je ne sais. Ils se parlent entre eux dans la forêt. Je me souviens d’un jour en Abitibi où je travaillais l’été et que le soir, après le travail, je sortais pour écouter les oiseaux.

Peu importe où ils meurent, leur génie est de transmettre le même langage pratique à travers les âges. Et c’est la raison pour laquelle ils sont toujours là.

Tandis que nous… On ne sait pas.

Gaëtan Pelletier

24 juillet 2013

P.S.: C’était écrit: « Entrez le titre ici ». Alors, entrez-le avant que quelqu’un le fasse pour vous.

Je dédie ce petit billet à mon cousin Jeannot qui nourrissait les oiseaux, tirait des érables l’eau à faire le sirop, fabriquait des escaliers et cultivait l’amour comme si c’était la nourriture la plus important du monde.  Également à mon frère Jacques, bien tatoué, révolté, de temps en temps drogué, comme s’il voulait voler…

Tout cela pour dire que les morts peuvent nourrir les vivants, et que les vivants peuvent nous apprendre que vivre dans la simplicité est transmettre un message simple.

Twit

La mort de la Terre ( 1910)

La mort de la Terre

La mort de la Terre

Extrait

Depuis cinq cents siècles, les hommes n’occupaient plus, sur la planète que des îlots dérisoires. L’ombre de la déchéance avait de loin précédé les catastrophes. À des époques fort anciennes, aux premiers siècles de l’ère radio-active, on signale déjà la décroissance des eaux : maints savants prédisent que l’Humanité périra par la sécheresse. Mais quel effet ces prédictions pouvaient-elles produire sur des peuples qui voyaient des glaciers couvrir leurs montagnes, des rivières sans nombre arroser leurs sites, d’immenses mers battre leurs continents ? Pourtant, l’eau décroissait lentement, sûrement, absorbée par la terre et volatilisée dans le firmament{1} Puis, vinrent les fortes catastrophes. On vit d’extraordinaires remaniements du sol ; parfois, des tremblements de terre, en un seul jour détruisaient dix ou vingt villes et des centaines de villages : de nouvelles chaînes de montagnes se formèrent, deux fois plus hautes que les antiques massifs des Alpes, des Andes ou de l’Himalaya ; l’eau tarissait de siècle en siècle. Ces énormes phénomènes s’aggravèrent encore. À la surface du soleil, des métamorphoses se décelaient qui, d’après des lois mal élucidées, retentirent sur notre pauvre globe. Il y eut un lamentable enchaînement de catastrophes : d’une part, elles haussèrent les hautes montagnes jusqu’à vingt-cinq et trente mille mètres ; d’autre part, elles firent disparaître d’immenses quantités d’eau. 

 

 

 

Bonjour la vie!

Source: FuturaScience

Source: FuturaScience

J’aurai vécu maille par maille,   le temps qui tricotent les jours.Cherché les fleurs de lumière,  les chapelets d’âmes  en  prière…

Bonjour la vie…

Je me serai baigné aux frissons de tant d’ amours, que j’en aurai brûlé mon souffle, les    échanges aquarelles, grêles,  sur nos toiles de chairs  buvardes.

Bonjour la vie!

Toi qui m’a fait rencontrer des diables à tous les coins d’heure

J’ai laissé  taire  ces démons  pour écouter les anges camouflés. J’ai laissé la laine du temps filer pour un repaire campé.

Bonjour la vie…

J’ai tournillé par des soirs de brou, dans l’aventure de détruire les rumeurs du mourir à jamais. Il ne m’est restée qu’une réponse debout, une bulle éclatée du fumet du cœur…Mais j’y ai cru,  et encore j’y croît…

Bonjour la vie!

Toi et tes beaux océans, unis aux pleurs des hommes cassés de toutes les guerres.

Pauvre lui-elle! Pauvre nous! J’y laisserai sans doute quelques gouttes. Voyages de mes amers, dunes austères. Et de là mes doutes..

Bonjour la vie!

Toi la belle aux  magies  des  moments qui parlent  de par le grillon enfoui sous l’herbe, le langage des braise d’un feu de camp, je t’entends. Dans tes symphonie déliées, tu colores mon âmes et celles des amours, apparoir des miroirs.

Bonjour la vie!..

Tu m’as fait chasseur de beauté, garni  d’une seule arme, la  tendresse . Je me serai battu à  tendre ma joue. J’aurai accroché mes paupières de fil de fer, pour te voir toujours, même la nuit.

Bonjour la vie!

Je marcherai encore aux dalles des villes,  aux fonds spongieux des forêts. À chaque pas, chaque pas, découvrant ta grandeur,  chaque foulée aura été un monde…Là où toute sortie est une entrée… Mes jambes s’usent,  je vais,  bien quiet,  là d’où je viens…

Bonjour la terre!

Bonjour la vie!

Hiver 2005

Le lièvre et la torture

Dialogues d'acariens | LA VIDURE

Au fond, Maggie et moi  on est heureux dans notre casemate à l’orée de nulle part. Hier, samedi,  on a décidé d’aller passer une journée en forêt. Il y a une rivière qui bruite un chant doux en papillonnant des sons qui ressemblent souvent à ceux des oiseaux.  En aval, on peut apercevoir  des courants fous qui se tortillent,  entraînant des arbres déracinés. Les feuilles frétillent et des centaines d’oiseaux s’on font maison. Ici, il y a encore de l’air neuf. Ici tous les livres sont encore debout. Les lièvres aussi qui passent de temps en temps en nous zieutant.  Bientôt, ils passeront à la tonte  blanche pour se fondre à la neige, échapper au renard.  Bientôt nos passerons à Windows 12,13,14.  pour nous fondre à la cohorte.   C’est frisquet, mais on marche jusqu’à ce que les pas deviennent des grains de chapelet. On prie de par les petits rais lumineux qui flashent à travers les arbres.  La beauté n’est pas  seulement dans nos vues mais dans ce dont  est aveugles. La vie est agité et mouvante de milliers d’auras aux couleurs qui dansent. Nous ne savons pas réellement qui nous sommes.  Et ce que nous sommes dépend de toutes les sources de la nature, et de la qualité de la nature humaine qui nous a formé et élevée.  Et c’est là le grand voile et l’immense mystère de la création. L’invisible nous taille davantage que le visible.     Peut-être que la joie est une perle qui se cultive? Un petit sourire de Bouddha. La forêt, la terre humide avec ses  champignons bizarroïdes,   ses arbrisseaux enserrés, parfois étouffés, tentent de se tailler une place. Le petit plant a des plans pour son futur. Personne ne connaît les grands plans du petit plant.   Il faut continuer de marcher pour se retremper dans  le baume, briser la cassure de nos êtres. Ce n’est pas seulement la matière  qui est polluée : c’est  notre être, jusqu’aux chakras, sans doute. Jusqu’à déstabiliser un corps subtil.   Un psychanalyste y trouverait une mécanique défectueuse,  mais les taoïstes, eux, y découvrent  un système complexe, subtil. Alors, Maggie et moi  on se douche, loin des étourderies, loin des petits pièges tendus par les prédateurs voraces qui, un jour, viendront jusqu’ici « développer ». Ils planteront de l’asphalte et des voitures ou cultiveront des arbres sans connaître la vie cachée des arbres.

Déjà qu’ils ne se doutent pas de celle cachée des humains…

*

  La grande guerre qui approche sera la guerre contre ceux qui s’emparent de nos travaux, de nos bras, de notre monde, qui emplissent leurs tirelires de nos sueurs, de nos malheurs. Nous sommes tous des migrants d’un monde rempli de beauté qui va cesser d’exister.  En soudant toutes les larmes des peuples miséreux,  on se retrouve devant  un océan salin que se plaisent à parcourir les affairistes comme on parcourait les mers, jadis. La misère éparpillée sur les continents est la nouvelle négritude dématérialisée.

On refuse d’acheter de l’air, d’acheter de l’eau. On a beau refuser, l’air et l’eau sont à vendre. On voudrait bien ne  pas acheter de qui nous appartient déjà, mais on  ne peut pas acheter ce qui nous a été volé. Pourtant, on l’achète. De force ou de force.   Qui donc a pissé  sur l’Amérique pour dire que toute cette terre leur  appartient? Ce sont des humains. Ils se sont donné le droit d’uriner  partout pour posséder.   Ils ont quadrillé la Terre comme un cahier de géométrie : « C’est mon carré à moi. Ce rectangle est mien. Ma femme m’appartient. La feuille du huit cents quatrième arbre, branche du nord, positon, quatrième branche est à moi. Les papillons sont miens. Les lombrics de mon jardin sont mes lombrics. Personne ne touche à mes lombrics. Même pas les pêcheurs. Hier, je me suis acheté un nuage. Demain, j’achèterai un perroquet. Je l’enfermerai dans sa cage. Un perroquet est une peinture versicolore qui parle. Je veux un perroquet pour qu’il me parle. Un perroquet qui ne parle pas est un perroquet mort : Il ne remplit la fonction que je veux qu’il remplisse ses fonctions. Sinon …  Les banquiers et leurs descendants voraces et cupides, leurs représentants  de commerce et de libre-échange gentillets ont lancé une énorme bactérie sur le globe. Plus rien ne va! Faites de gros yeux!   Ils ont la même méthode que les vendeurs de drogue : une première dose gratuite. L’endettement fera le reste…

Nous ne sommes pas une révolution, nous fuyons une révolution qui ne se fait pas. Nous fuyons les sourds. Nous fuyons la bactérie mangeuse de nos chers humains,  et très chers produits qui voyagent. Brocoli de Californie : 6392 Km. Leur fantasia, leurs petits miroirs girouettant, ne nous atteint plus. Ils ont de grandes oreilles, mais c’est pour mieux ne pas entendre, mon enfant!

Extraits de 56, 6 décembre 21

Gaëtan Pelletier

Facebook 2037

Mam Davio

Un jour, sur Facebook – je crois que c’était en 2037 – on vit passer un Avis de décès d’une dame du village. Les robots balayeurs des entreprises connectes à Facebook avaient depuis longtemps suivi la dame sur son profile. Ils la profilèrent à la perfection jusqu’au début de la relation avec son mari. Quelques jours après les funérailles, un vendeur se présenta chez-lui avec une dame qui prétendait devoir le connaître.

Jo, 74 ans, resta figé devant la dame qui était la réplique parfaite de son premier et dernier amour. Le coup de foudre. La jeune femme, d’à peine 20 ans savait tout de lui, de ses goûts culinaires, de son amour pour le camping et de son vice le plus caché : le sexe.

La jeune femme était un nouveau modèle de créature de la compagnie Moravie qui se spécialisait dans le remplacement des amours perdus.

Le vendeur spécifia qu’elle n’était pas à vendre. Il avait droit à un essai de 9 jours et, par la suite, à une location de au tarif de 2834.10$ par mois, pour le contrat d’un an.

Il signa.

Mam Davio entra dans sa vie avec tout l’attirait pour le rajeunir. Ce furent là les plus beaux 9 jours de sa vie. Ils partirent en vacances en Gaspésie avec un VR électrique.

Leur relation dura 6 mois, Jo eut un malaise et, cette fois, les circuits contenant la mémoire de ses études de médecine flancha.

Jo mourut dans ses bras et elle le lança sur le mur, car elle avait cru être attaquée. Au procès, un avocat expliqua aux enfants de Jo que le contrat stipulait une faille possible dans ces premiers robots.

L’avocat, lui-même une réplique d’un avocat célèbre, gagna le procès.

Le village étant peuplé d’une population vieillissante se retrouva au bout de trois ans renouvelé par une flotte de jeunes dames et de vieillards heureux.

Quelques mois plus tard, une dame assassina son mari de par une crise cardiaque causée par une substance non identifiable. Irène avait été une infirmière. Une fois à la retraite, vive et gaie, elle trouva le moyen de refaire sa vie : elle mit l’Avis de décès de son conjoint sur Facebook et attendit en se balançant sur la galerie de sa vieille maison.

Un vendeur se présenta.

Copyright

Gaëtan Pelletier 

 

Zida du bout du monde

Statue De La Liberté, Statue, Liberté

On l’a tué d’un coup de papier
L’immigrant
L’ignoré
À peau sombre venue d’un pays
Où les guerres l’avaient déjà tué

Au royaume de la paperasse
Des gens biens habillés
Ne voient plus les yeux qui passent
Dans une formule gazée
«Avez-vous vos papiers?… »

Nul ne sait ce qu’il fait
Nul ne sait dans ces pays
Où les gens bien assis
Sur leur cœur de papier
La besogne est d’argent
Au pays où roule l’or
Des Organisés, tous rassis

Au pays du travail divisé
Zida la noire s’en était allée
Amoureuse d’un arabe
Sans couleur que la lumière :
L’amour les avait soudés

Puis un soir, en marchant
Leurs mains furent déliées
Par deux policiers armés
De haine et de temps

Liberté ! Liberté!
Criait la statue, bras levé

Mais son amant disparut
Dans une cellule invisible
Quelque part, sans pays
Qu’un mur indicible
De briques risibles

Les amants furent séparés
Comme les deux tours
L’un se perdit dans la jungle de papiers
Corps enfermé , mort à l’âme

Zida resta, emmurée
Dans la douleur de son amour
Au pays d’un bras levé
Liberté! Liberté!

Gaëtan Pelletier

Courtepointe

Il nous faudrait des yeux
Plus grands que nos corps
Des yeux creux jusqu’à l’âme
Des yeux pour pouvant sourdre 
L’aveugle indifférence

Il nous faudrait tricoter
Des bas de laine jusqu’aux peines
Les souffrances des autres
Au froid qui nous enterre
Sous nos avoirs si fiers 

Il nous faudrait une prière
Sans mots que les regards
Sans cérémonie, sans déni
Sans dieux préfabriqués 
Un monde empli de chaleur
Un frisson de lumière
Une parlure d’éclair: 
 
«Je suis celui qui suis»
«Tu es celui qui est»

Et notre monde serait de paix
Maillé à  l’endroit et l’envers
À toutes les couleurs, cousues
Dans une doublure d’amours 

Gaëtan Pelletier
5 janvier 2009

La braise des arbres

Crédit photo: Lise Bernier

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C’est l’automne et voilà que les arbres s’habillent de lueurs. Les coulis tout tendres animent les yeux des dieux enfermés en nous et en NOUS. Il y a des braisent qui dorment au bord de la route dansante. Ouvrez vos chakras, ce sont les fleurs en vous, les couleurs infinies qui dansent sans bruit.

Aux matins frisquets, le givre écrase le tapis d’herbes en prière. Sous le froid et l’effroi elles s’en iront en terre de l’hiver. Et le lièvre coure vers son manteau blanc et plus tard danser, cachottier à l’abri du renard roux.

Le dormir sera long et les jours trop courts.

L’arbre  écrit en lettres  jaunes, rouges, rousses ou de  vert persistant, et parfois de brûlures aux feuilles, gaiement, parlant d’un retour, l’œil rougi de peine mais à la fois souriant.

Ce sont cadeaux à l’iris, une peinture frétillante sous la main des vents. Le pinceau soleil, de rais délicats, trace l’énigme  saisons des âmes  par la voix des lumières feuille à feuille.

La paix dense enfermera les bois dans le grand coffret blanc de froid. Et les hommes ne comprendront que plus tard ou jamais l’énigme des toiles parlantes que nous sommes et toujours seront.

© Gaëtan Pelletier, 7 octobre 2019

 

Houellebecq, la sérotonine des peuples

C’était mon premier Houellebecq. Sans doute le dernier. Cet univers glauque, d’une belle écriture, tourne en rond sur tous les sujets possibles et impossibles, le personnage principal se permettant de critiquer la beauté ou la laideur de tout ce qu’il perçoit sur son passage.

On se demande comment Houellebecq peut avoir autant de succès. Et c’est tant mieux pour lui… On pourra juger, plus tard, de la qualité de son oeuvre.  Car, au fond, en naviguant sur la toile, on peut trouver – et en mieux – tout ce dont traite l’auteur. Il nous renvoie notre propre image d’ignorant, peu attentifs à ce qui se passe en ce monde. Il le souligne, certes. Sans doute trace-t-il en caractère gras la décadence qui marque ce monde . Sans plus. Le long soliloque finit par lasser, car il ne mène qu’au soliloque lui-même. Le personnage est un homme perdu, « neurasthénique », embourbé  dans une société qui l’a tissé. À la limite, pleurnichard, prêt à chigner à la moindre occasion. Voilà ce qui est permis à un personnage qui s’autopsie d’une certaine manière sans rater d’égratigner ce qui l’entoure, ne serais-ce qu’un village ou un bâtiment.

Voyage en Houellebecquie

Ces 300 et quelque pages (heureusement composées un peu gros) sont un voyage, une plongée plutôt, en Houellbecquie, principauté lugubre, recouverte d’un brouillard qui ne se lève jamais, où les femmes ne sont que des putes et/ou des salopes (c’est évidemment compatible) qui ne sont en fait que des chattes sur pattes, plus ou moins humides, et les hommes des bande-mous, déprimés et alcooliques quand ils ne sont pas « pédés » ou mieux pédophile allemand (rien de tout cela n’étant incompatible non plus dans ce roman aussi misogyne qu’homophobe). A la tête de cette principauté, règne le grand duc Michel qui prend un plaisir évident à décrire une société la plus désespérée possible, peuplée de sujets en perdition qu’il décrit avec un cynisme jubilatoire, parfois drôle, même si les ressorts comiques sont souvent un peu attendus. On l’a lu 

On l’a lu… Et à se demander ce qui nous reste par la suite. Si un livre ne laisse rien, et ne peut nous dessiller au brouhaha de ce monde, il n’existe que pour prouver  qu’encenser Houellebecq c’est un peu démasquer notre propre décadence. On peut alors se questionner sur le mot « littérature », ou enrichissement. À part quelques traces d’humour caustique, bien que rares, – et on reste en manque – l’effet tombe à plat. On y voit là qu’un coup de publicité pour Flammarion.

Houellebecq, Simenon et Gide 

Pendant la lecture du livre, on se croirait dans un univers de Simenon ou le « héros » est en fuite. C’est un des thèmes récurrents   des livres de Simenon ( La fuite de M. Monde, L’évadé, Lettre à mon juge, etc), avec toutefois les qualités qu’exigeaient Gide de Simenon à qui  il demandait de peaufiner davantage  ses écrits. « Allez! Vous y êtes presque ». Et le pauvre Simenon de répondre: « Si je savais ce qui est bon, je ne ferais que du bon ». ( de mémoire).

Au moins, Houellebecq ne rate pas cette partie avec un style qui vous porte et un rythme parfaitement accordé au personnage qui s’autoflagelle. Peut-être est ce là ce qui attire autant de lecteur: Houellebecq est peut-être l’artisan d’un miroir dans lequel nous nous reconnaissons, dans nos sociétés qui  fertilisent  des blasés et les entretienent  avec une bonne ration de consumérisme, y compris les antidépresseurs.

Houellebecq: la sérotonine des peuples. L’opium en pharmacie…

Gaëtan Pelletier

 

Pour tous les silences

Il avait son petit appartement (de plus en plus minuscule au fil des ans) et n’avait conservé que le peu dont il avait besoin. Table de billard, piscine, ordinateur, cinéma maison, roulotte avaient disparu et tous ceux qui aimaient le voir entouré d’objets ne venaient plus et ne téléphonaient plus.

C’est ainsi, qu’une vie durant, il avait dû renouveler sans cesse l’intérêt des autres à son égard et qu’au fil du temps il fut envahi par tous les objets témoins de ces amitiés éphémères. Puis, peu à peu, plus aucun ne l’a fait sourire: ni la roulotte, ni non plus ce vieil ami dont il était sans nouvelles depuis ces fameuses vacances qui n’eurent pas lieu car son fils lui avait demandé la roulotte la veille de leur départ.

Non ça n’allait pas… Il avait besoin que quelqu’un remplace la moustiquaire brisée de la porte-patio de son appartement.

L’ouvrier spécialisé lui avait dit: « Tout est trop vieux, achetez une porte neuve »! L’artisan lui avait dit: « Je n’ai pas le temps.  C’est pourtant facile à faire, même un imbécile peut le faire »! Son garçon lui avait dit: « Mais t’as pas besoin d’une moustiquaire »!  Il les a écoutés.  Après tout, puisqu’il ne souhaitait pas tomber en disgrâce aux yeux de tous, vieux et sans objets, il se devait de les laisser se montrer de bon conseil, même si cela ne lui était d’aucune aide.

Eux racontent qu’il n’a plus toute sa tête, car il est obsédé par la moustiquaire de sa porte-patio. Vous n’en croyez rien? Interrogez son fils qui lui rend occasionnellement visite…

moustiquaire4

« Eh bien il faut voir que depuis trois années, chaque fois que je vais le voir, il est question de cette sapristi moustiquaire! A force, tous ont hâte qu’il se retrouve dans une maison pour personnes âgées et qu’il cesse de lasser tout le monde avec cette moustiquaire. Cela devient pénible pour les autres! On dirait un enfant qui ne sait rien faire et qui voudrait tout avoir… mais qui a besoin des autres évidemment! Que voulez-vous, ça n’ira pas en s’améliorant! Pour l’instant il se débrouille car il peut aller à la banque, mais viendra le jour où je serai obligé de me charger de ses avoirs! Je m’y prépare mentalement. »

« Tiens il me téléphone justement »!

« Quoi? … venir manger chez toi samedi prochain? Bien non vois-tu… je te rappelle que je travaille toute la semaine moi! Lorsque le samedi arrive, je dois aller faire les emplettes et le soir venu j’ai absolument besoin de détente et de musique! D’ailleurs c’est ce que vivent tous ceux qui sont dans ma situation. Nous n’avons plus aucun temps à nous. Tu comprends j’en suis certain!

« Ah oui ce Noël nous partons en vacances dans le sud avec des amis. Je préfère t’en aviser longtemps à l’avance pour éviter que tu ne t’y prennes à la dernière minute pour trouver un endroit où aller réveillonner. Ça ne se fait pas, te laisser seul à Noël. Tu me connais: j’ai le coeur tendre! 

Quoi?  je suis fils unique? Ecoute crois-tu que je peux l’oublier puisque c’est moi qui doit tout faire pour toi »!

« Ah oui au fait, pendant que j’y suis, j’irai chez toi cette semaine pour te faire signer l’endossement de l’hypothèque du condo que j’achète. Essaie d’être là car je dois finaliser tout ça avec la banque. Quoi? écoute as-tu compris ce que je viens de dire? Evidemment que je n’aurai pas le temps de prendre le repas avec toi ce jour-là non plus. Il faudra remettre ça. Toi tu as des horaires flexibles, mais moi pas. Je sais bien que tu dois t’ennuyer. Il n’y a personne de ton âge dans ton entourage. J’y pense… n’en doute même pas! Je me dis souvent que je serais tranquille si je te savais entouré. Tu sais c’est facile: on fait tout disparaître chez toi en vendant ou en donnant à des oeuvres tout ce qui ne te sera plus utile (je conserverai pour toi les objets de valeur) et tu pourras te la couler douce dans une résidence pour personnes âgées.  Là-bas tu auras tout, mais alors tout ce qu’il te faut!

« Et le plus beau c’est que tu n’auras plus besoin de penser à ta moustiquaire car je te l’accorde, depuis trois ans qu’elle est éventrée, nous avons l’air de vivre à la mendicité. Je sais que tu es fier, moi aussi d’ailleurs, donc ça ne va pas. Attends j’ai quelqu’un sur une autre ligne, je te reviens. Oui? non non j’arrive bientôt. Je consolais mon père qui a toujours cet énorme problème de moustiquaire éventrée qui le détruit peu à peu. Je sais .. je suis sensible que veux-tu. Après tout c’est mon père! Oui d’accord je le lui dirai. »

« C’était Robert. Il m’a demandé de te dire de ne pas t’en faire parce qu’il y a des gens qui vivent bien pire situation. Prends les prisonniers… qu’il m’a dit: eux seraient heureux d’avoir une moustiquaire à la porte, même éventrée! C’est comme ça! On n’a pas tout ce qu’on veut dans la vie. C’est bien dommage d’ailleurs parce que moi aussi, si j’avais tout ce que je veux, je n’aurais plus besoin de toi pour l’hypothèque. »

« Bon allez. Prends soin de toi. Garde le moral. Tu disais? Ecoute je n’ai pas le temps de discuter. Une prochaine fois. Allez à bientôt. »

« J’espère qu’il ne se mettra pas en tête d’engager des frais exorbitants pour faire changer toute la porte-patio. L’hiver arrive. Ce serait une dépense insensée. Mais voilà, c’est ce que je dois craindre sans cesse de sa part, car il vieillit et n’a décidément plus toute sa tête. »

« Nous sommes différents, car moi, lorsque je serai vieux, je ne ferai pas tourner les autres en bourrique.  Je donnerai tout mon argent à mes enfants et j’irai vivre dans une maison pour personnes âgées et découragées. Je suis sûr que je pourrai leur remonter le moral. »

Que voulez-vous, la vie est injuste. Tu travailles toute ta vie et un jour ton existence fait chier les autres. Je sais bien… on peut jouer les forts et même les insouciants quand on a suffisamment de pognon et de ruse pour les tenir en respect, mais ils demeurent tout de même aux abois. A croire qu’en vivant longtemps on développe une aura qui rend les autres agressifs!

moustiquaire

Cette nuit-là, il faisait très chaud. Il n’avait plus de climatiseur. Son fils l’en avait débarrassé il y a trois étés de cela, lorsqu’il avait dû être hospitalisé d’urgence pour une appendicite. Lorsque l’hôpital avait rejoint son fils pour lui apprendre que son père était entré d’urgence à l’hôpital, celui-ci avait eu peur que des voleurs ne s’introduisent dans son appartement par la fenêtre où était situé le climatiseur et ne dérobent les objets de valeur.  Il les avaient donc tous emportés avec le climatiseur, afin de les mettre à l’abri.

Depuis ce temps, il n’y a plus que la porte-moustiquaire éventrée lorsqu’il fait chaud, comme cette nuit-là…  Mais il se gratte toute la nuit (les moustiques que voulez-vous) et il doit chasser les mouches toute la journée. On pourrait croire que ça l’occupe, mais avec l’âge il devient de plus en plus morose et se fatigue de tout.

moustiquaire2

Que n’avait-il plus d’outils, tous donnés à son fils qui lui avait vanté les joies du bricolage, ni d’escabeau que celui-ci lui avait emprunté de façon définitive car il disait craindre qu’il fasse une chute. « Réfléchis: Je ne pourrai pas prendre soin de toi si tu te casses les deux jambes! Je ne peux pas continuellement être aux petits soins avec toi.  J’ai bien d’autres choses à faire! »

Cette nuit-là, il s’est levé et s’est dirigé vers la porte-moustiquaire, là où il y avait le trou béant, témoin de sa folie. Il décida de supprimer l’objet du litige entre lui et son fils, entre les attentes et les besoins maudits. Il s’élança dans la moustiquaire pour qu’elle cède enfin:  un premier geste vers la raison des autres!  L’état dans lequel elle se trouvait avait fait taire toute dignité en lui et avait accentué l’emprise du monde extérieur sur sa vie:  un monde sur lequel la seule ouverture que cette moustiquaire lui permettait d’avoir était depuis trop longtemps source de conflits.

L’été où il avait été hospitalisé, il n’avait pas protesté auprès de son fils du fait qu’aucun voleur n’aurait pu s’introduire chez lui par la fenêtre où se trouvait le climatiseur, puisqu’il demeurait au cinquième étage. Il se doutait qu’il l’aurait mal pris.

ELYAN