Chapitre 11
12 décembre
La politique vers l’an 2038
Ce qui est amusant avec les politiciens, c’est qu’on les renvoie aux quatre ans pour incompétence. Ce sont les seuls travailleurs de ce monde à vanter leur incompétence avant de partir. Ils saluent les nouveaux compétents qui arrivent et qui seront renvoyés dans quatre ou huit ans pour incompétence. Mais, en bons zombies, ils reviennent parfois, compétents, le CV blanc et leur teint de zombie enfariné.
Que vous placier un noir au pouvoir, un nain blond ou une fille d’Ottawa, la mauvaise nouvelle c’est que ce seront tous des politiciens. Ils seront contre la guerre, prendront l’argent des contribuables pour acheter des armes et défendront aux citoyens de posséder des armes, puisqu’ils risquent de se tuer entre eux plutôt que d’aller tuer des autres qui sont pris avec le même problème : la démocratiaffairiste.
Ce sera les glaciers qui auront le pouvoir.
La pensée du jour
Le travail n’a jamais tué personne.
( petite pensée trouvée sur le corps d’un soldat)
Carl
***
— On publie ou pas?
— Les écrits de Carl sont acides, bilieux. Il se fait du souci pour le sort du monde. Comme s’il avait mis au monde toute la planète… Carl a une âme de mère…
— Peut-être que chacun met au monde tous les habitants de la planète…Ça fait partie du « sait rien »… Nous ne savons seulement ce qu’on nous a appris… On ne fait que jouer avec ce qu’on nous a appris. On nous a appris qu’il fallait avoir une montagne d’outils pour être heureux, ou se faire une valise de savoirs…
— On publie?
— J’ai peur. J’ai peur des écrits de Carl et je commence à avoir peur de ceux de Théo et de Maude.
— Si les trains avaient eu peur, ils se seraient blottis dans une gare…
— Tu prends de la drogue, Jason?
— Non. J’en fournis aux mourants… Ça me suffit…
***
L’hiver arriva. Un hiver blanc comme les dents d’une américaine Middle Class, blondasse-fadasse. La froidure avait enterré l’armée de Napoléon, l’armée allemande, les roses, les moules zébrées, quelques pièces de monnaies canadiennes, les jardins, des moufettes, des souris et des hommes. Un hiver traître qu’aurait fait fusiller Sosso, le meilleur purgatif russe prénommé Joseph. Mais les traîtres ont toujours un rôle à jouer en cet abat-monde.
Brrr! Il fallait se vêtir avec des manteaux en duvet de canard pour résister aux tirs des froidures continuelles et insistantes. Le mercure se reposait dans son ténu tube de verre. Ça le fatiguait de grimper l’été, vu la fièvre des climats et la sueur des Icebergs. Dors! Petit mercure. Dors!
L’hiver, c’est tout beau en motoneige et en skis dans les sentiers de l’Abitibi ( du nom Algonquin âpihtô ( eaux médianes). Mais il faut avoir les moyens pour que ce soit beau. La beauté appartient à ceux qui peuvent se payer un Stradivarius 3 ou 4 millions de dollars et une toile de Picasso de la grandeur d’un timbre à 5 millions de dollars U.S. Heureusement qu’il reste encore des pins, des sapins, pour respirer et usiner de l’oxygène. Les autres arbres avaient tant travaillé pendant l’été qu’ils s’étaient secoués et avaient fermé leurs yeux verts pour plusieurs mois :ndjfma.
Maggie me demanda un jour « Pourquoi le ciel est bleu et les feuilles des arbres vertes? »
— Parce qu’elles boivent de la lumière. Chaque feuille, chaque brindille de vert est un panneau solaire.
— Alors les champs de l’Irlande boivent de la lumière.
— Tes yeux aussi…
— Chanteur de pomme…
***
C’est congé. Maggie et moi avions décidé de faire une ballade dans le Bas-du-Fleuve. Après avoir parcouru des centaines de kilomètres, des vents de fous traçaient des murets de neige. De beaux murets blancs sculptés en œuvres d’art tranchantes. Des lames et des lames aiguisées par le vent amusé qui paraissait ricaner, gommant les lumières des phares perdues dans le flou des flocons.
Les routiers nous dépassaient à une vitesse folle. On aurait dit des dinosaures d’acier sur roues. Ils laissaient derrière eux un énorme crachat de saletés sur le pare-brise. On roulait les yeux bandés. Maggie avait peur, tandis que moi je faisais semblant de ne pas avoir peur. Mais je suis sorti de l’autoroute pour prendre la route qui longeait le grand fleuve Saint-Laurent, gaufré de glaces en ce temps de l’année. 22.00 H. On ne voyait plus que de la neige. Plus personne sur la route. Puis l’auto a frappé un muret, s’est mise à zigzaguer, tournoya, et se jeta sur un banc de neige.
— L’auto a tenté de se suicider…
— Très drôle!
Coincés dans notre salon d’acier et de plastique, on se regardait sous la lumière glauque du plafonnier. Le vent soufflait à 70 ou 80 km heure. Sous les phares, les tourbillons nous faisaient des doigts d’honneur. J’ai tenté de démarrer la voiture. Le moteur rotait son repas de neige. À force d’insistance, la batterie s’essouffla.
— On perd des ampères…
— On va mourir ici, dit Maggie.
— On s’en sortira…
— On sortira de l’auto? Alors, prends-moi dans tes bras. Je gèle déjà.
La merveilleuse invention d’Alphonse Beau de Rochas multipliée par Ford se transforma rapidement en igloo.
Au bout d’une heure, Maggie tremblotait. On s’est assis à l’arrière de la voiture pensant s’endormir et mourir comme ce jeune couple que l’on découvrit, après des milliers d’années, enlacé, brûlé sous les laves d’un volcan près de Pompéi. Au printemps, la presse annoncera la trouvaille de Jason et Maggie les langues collées comme celles des enfants sur une poignée de porte métallique. Qui trop embrasse, évite mal éteint.
— Ça ne te dérange pas trop si je meure à côté de toi? Dit Maggie.
— Non. Mais je m’ennuie de l’appartement. Je n’aurai pas le temps de devenir un vieux grognon près de toi. Et tu n’auras pas le temps de me taquiner avec tes caricatures sur Facebook.
— Je m’endors.
— Ce n’est pas une bonne idée. Il faut rester éveillé. Nous allons chanter pour ne pas dormir.
— Tu veux m’assassiner?
On a chanté. Mais c’était tout bas et sans énergie. Après une demi-heure, j’allais flancher. J’étais engourdi. Dans ma tête je faisais mon testament, même si je n’avais rien à donner. Puis la neige a cessé de tomber. Il ne restait plus que de belles grandes vrilles folâtres qui taquinaient le métal de la voiture.
— Il y a une lueur, là, près du fleuve.
— Tu dois rêver.
— Je ne peux pas rêver, je ne dors pas.
On a tenté d’ouvrir la portière, mais la neige était déjà à au moins un mètre de haut. J’ai pu voir la lumière qui vacillait. On aurait dit une chandelle paresseuse, jaunasse, accrochée à une façade noire.
— Une cheminée! Je vois une cheminée.
— Une maison?
J’ai poussé la portière à coups de genoux et coups de poing. Après une vingtaine de coups, je me suis glissé dans la fente, essoufflé, la tête giflée par le vent. J’avançais centimètre par centimètre. J’espérais cette lumière réelle. Peut-être que j’étais mort et que j’étais aspiré par la lumière telles ces âmes perdues. J’ai sorti Maggie, en la tirant sur la neige. On s’est pris dans nos bras et on a tourné nos yeux bénis vers le fleuve, de l’autre côté de la petite route. On pouvait encore voir des morceaux d’asphalte sur lesquels dansaient des serpents de neige.
***
Maggie a frappé à la porte. Désespérément. Comme si elle voulait la défoncer. Quand elle s’est ouverte, il est apparu un vieux monsieur à barbe blanche, trapu, avec un air sur-surpris. Mais quand il a vu Maggie, il a souri.
La maison devait dater d’eau moins cent ans et fabriquée de poutres de bois. Une maison aussi solide que les murs de Jéricho.
— Vous avez faim, les jeunes?
— On mangerait de la chaleur… Et de la mélasse de Barbade.
— Alors, collez vous à la grille. Le poêle chauffe à l’érable.
On l’a vu la grille. Une grande grille en fer forgé avec des arabesques aux allures de fleurs de lys incrustées dans le design du métal.
Le vieux, qui portait des bas de laine, épais comme des pantoufles, est allé dans un placard à porte grinçante, puis est revenu avec bouteille de Jack Daniel’s.
Sa maison était sous le thème du bateau, de la mer, des ciels fâchés. Il y avait partout : des sculptures de bateaux, des pièces de bateau, des hublots décoratifs, des modèles réduits. Tout était bateau. Même le vieux, ne cessait de dire : « Bateau, c’est une belle tempête ».
Il nous a versé un verre dans un pot de confitures recyclé. On a souri. Car c’était le genre de verre qu’utilise maintenant Théo. On ne sait plus que vendre pour être cool, in ou autre expression.
Dans les années 60, les pauvres avaient honte d’avoir des jeans déchirés… Aujourd’hui on juge ceux qui n’en n’ont pas.
— Je recycle tout, dit-il en nous donnant nos pots de conserve.
— Ah!
—Le Jack Daniel’s ça saoule vite, ai-je dit.
— Je n’ai pas dit que j’allais vous en servir un autre pot.
Le vieux a souri. Il y avait encore un enfant dans ce corps vieilli, taillé dans le muscle et les os. Un vrai taureau…
— Dommage!
— J’y suis habitué. Si la neige était encore en état liquide, on aurait des vagues hautes comme la maison. Ça vous lèche le bateau de vagues salines et des écumes avec des bulles. Je m’en souviens…
On s’est assis sur un divan qui ressemblait à une copie de celui du Titanic, recouvert d’une peau de mouton pour la touche Québec 1912.
Puis il a dit qu’il avait parcouru le monde et que le monde l’avait parcouru. Il avait de grands yeux bleus avec un filtre blanc comme pour cesser de voir le monde avant de partir pour une mer plus grande.
Il est descendu à la cave pour ajouter du bois sur les braises. Il doit y avoir du Jack Daniel’s dans les érables d’ici, parce qu’au bout d’un moment on avait tellement chaud que Maggie fabriquait de la sueur comme de l’eau d’érable. Je l’ai embrassée sur le front, et son front m’a semblé salin. Maggie, avec ses yeux dans lesquels poussait tout un jardin d’étincelles, s’était mise à rigoler. Et le vieux, qui s’appelait Léonidas, lui offrit un autre pot pour la regarder rire.
— J’aime entendre rire les gens. Quand les oiseaux ne sont plus là, c’est le plus beau son de la Terre. Mais il n’y a pas grand monde ici pour rire avec moi… Ils sont tous trop occupés. Un jour, il y aura des robots qui s’occuperont des vieux. Je ne suis pas sénile… Du moins pour le moment. La sénilité attendra… Les seules personnes qui me téléphonent chaque semaine sont des « bureaux » de cartomanciennes de Montréal pour me prédire mon avenir.
Un peu plus tard, on lui a demandé, pour lui faire plaisir, quel était le plus beau voyage qu’il avait fait.
Il n’a pas parlé pendant quelques secondes. Il buvait son pot de Jack Daniel’s en le sirotant, et paraissait chercher en brassant sa boisson, la réponse de Jack.
— Après tout ce que j’ai vu, entendu, vécu… Je pense que le plus beau voyage c’est celui d’aller vers les autres pour les découvrir. Ce n’est pas un pays, ce n’est pas une île, ça reste un mystère. Je me souviens d’une allemande que j’ai rencontrée après la guerre. Toutes les femmes de l’Allemagne étaient veuves. Enfin! Presque toutes… Je l’ai tout de suite aimée pour la détresse que contenaient ses yeux. J’avais à peine 17 ans. J’avais vu la profondeur de l’océan, mais je n’avais jamais rien vu d’aussi profond et d’aussi grand. On dit ne connaître que 20% des profondeurs des océans. J’ai compris que c’est ce qu’on ne voit pas qui est important. Ce qu’on voit est trop évident… Elle m’a écrit pendant des années. Elle avait mis au monde un enfant qui était le résultat d’un viol par un soldat russe ivre. Elle l’a gardé et élevé avec un peu de pain et beaucoup d’amour. Elle est décédé il y a si longtemps que la dernière fois c’était dans un rêve alors que je naviguais sur le Saint-Laurent : elle était assise sur le rebord de ma couchette et elle était si belle que la chambre a paru s’illuminer.
Après, on a oublié. Je crois qu’on s’est endormis sur la peau de mouton, gavés de Jack Daniel’s.
Quand on s’est réveillés, le matin ( vers midi), il y avait un café qui nous attendait. Et le vieux Léonidas, assis derrière un ordinateur, était sur Skype. Il tentait de répondre à sa petite fille au Mexique. On lui a montré comment faire et quand la petite est apparue sur l’écran, il est redevenu encore plus enfant avec de gros doigts noués pour avoir trop agrippé tous les outils de la vie. Et avec les claviers qui rapetissaient pour épargner le plastique et gonfler les revenus des fabricants d’ordis, il avait peine à naviguer en ramant de ses doigts grossiers sur le tout petit clavier.
Plus tard, il nous a offert un bon déjeuner aux œufs, bacon, et pommes de terre rissolées.
En jetant un œil par la fenêtre, le temps c’était calmé et l’auto était là, remorquée…
Léonidas a levé un pouce en l’air en souriant.
— Merci!
***
Le vieux Léonidas a délaissé son vaisseau de chair quelques mois plus tard, en pelletant son entrée. Il a dit qu’il pelletterait pour nous attendre. On lui écrivait souvent, très souvent. On lui envoyait des photos de bateaux tirées de Pinterest. Il a pelleté l’eau floconnée sur laquelle il avait navigué toute une vie. On a regardé le ciel, il devait y avoir une étoile de plus dans la grande mer d’un autre monde là où le l’eau et la terre ne font qu’un.
« Bateau! Il est parti le vieux Léonidas ».
Maggie et moi, on aurait aimé acheter la maison. Mais on a su, plus tard, que ses enfants avaient tout vendu.
Puis un jour, Maggie a reçu en héritage un bateau miniature envoyé par une de ses petites filles. Léonidas l’avait sculpté et l’avait nommé Le Maggie. À l’intérieur, il y avait un petit mot :
Vous êtes venus me visiter. C’est un voyage d’humains qui est arrivé chez moi. Ceux qui viennent de loin deviennent souvent les plus proches. Si vous enlevez le pont du bateau, vous y retrouverez une petite histoire : « Mes jours étaient contés… ». Ce qu’il y avait de beau avec la mer- du moins au temps où je naviguais-, c’était qu’elle était douce et tranquille la plupart du temps. Le silence est trop profond et trop divin pour faire tout ce bruit que l’on voit aujourd’hui. Le bruit ne mène qu’au bruit. J’ai compris que la vague est un creux qui s’énerve sous le vent. Et les humains s’énervent de plus en plus. Ils ont peur de tout.
Je vous parlais des robots qui prendraient soin des vieux un jour… Mon médecin m’avait dit de ne pas pelleter, parce que mon cœur était malade et qu’il irait à l’hôpital. Alors, j’ai pelleté pour aller au ciel. Seul Jésus pouvait marcher sur l’eau. Ici, quand les lacs sont glacés, les Jésus se promènent en carrioles à moteur : la motoneige.
Que la vie vous garde beaux! Et n’oubliez jamais le Jack Daniel’s en pot…
Léo
***
Le renvoie d’eau et les perles mécaniques
“Be water my friend.”
Bruce Lee
Le totalitarisme post- mondialiste est en train de gagner la guerre contre les « perles sociales »que sont les travailleurs acharnés qui tentent de sauver leur petit lopin de terre, leur avoir et leur pays, leur droit à une vie simple. Pour ceux qui ont soif, on donne un verre d’eau. À d’autres, on donnera tout un lac pour qu’il soit pourvoyeur d’eau.
Et ils pourront puiser dans le lac autant qu’ils le voudront, à condition – de par une loi quelconque, un être quelconque – de distribuer les verres d’eau de manière à ce que chacun reste un peu assoiffé. C’est l’offre et la quémande…
L’assoiffé n’a pas de médaille pour sa soif, mais le pourvoyeur en a ou en aura pour services rendus au pays. La richesse des embouteilleurs, selon les dires des économistes, ruisselle en les pauvres, mais si dérisoirement qu’une armée de langues assoiffées est accrochée aux biberons des gouttières des maisons. L’eau sert maintenant à fabriquer du pétrole. Même les vieux bouts de carottes et de jarrets de porc.
On nourrit plus de voitures aujourd’hui que d’humains.
On ne sait plus voir… On sait se mettre à genoux.
Si vous avez des yeux pour bien voir les colliers de perles, vous verrez que les perles sont tellement proches qu’elles ne voient pas les autres perle, ni la structure du collier.
Il est des êtres qui sont des perles, heureux de vivres coudés pour former le plus beau des colliers de cette humanité.
Léonidas, le marin, était une perle.
Que la mer le baptise à nouveau, et pour de vrai! Il ne sera pas enterré…Il sera enmerré.
Maggie
©Gaëtan Pelletier, 2018