Archives mensuelles : août 2018

La méduse des profondeurs

LA MÉDUSE DU GENRE CROSSOTA, À 3,700 MÈTRES DE PROFONDEUR.

 

Si  nous « pensons » qu’un  téléphone  est « intelligent », la vie et ses mystères surpassent  de loin la petitesse de ces hommes en train de détruire la beauté du monde. Nous avons sans doute une méduse cachée au fond de nous…

GP

Auto-portrait

 

Les canettes ne sont pas pour les vaches

Nous avons la chance de vivre dans un pays où il y a de l’espace…  Mais le simple geste de jeter une canette peut avoir des conséquences à court terme.

GP

Pour tous les silences

Il avait son petit appartement (de plus en plus minuscule au fil des ans) et n’avait conservé que le peu dont il avait besoin. Table de billard, piscine, ordinateur, cinéma maison, roulotte avaient disparu et tous ceux qui aimaient le voir entouré d’objets ne venaient plus et ne téléphonaient plus.

C’est ainsi, qu’une vie durant, il avait dû renouveler sans cesse l’intérêt des autres à son égard et qu’au fil du temps il fut envahi par tous les objets témoins de ces amitiés éphémères. Puis, peu à peu, plus aucun ne l’a fait sourire: ni la roulotte, ni non plus ce vieil ami dont il était sans nouvelles depuis ces fameuses vacances qui n’eurent pas lieu car son fils lui avait demandé la roulotte la veille de leur départ.

Non ça n’allait pas… Il avait besoin que quelqu’un remplace la moustiquaire brisée de la porte-patio de son appartement.

L’ouvrier spécialisé lui avait dit: « Tout est trop vieux, achetez une porte neuve »! L’artisan lui avait dit: « Je n’ai pas le temps.  C’est pourtant facile à faire, même un imbécile peut le faire »! Son garçon lui avait dit: « Mais t’as pas besoin d’une moustiquaire »!  Il les a écoutés.  Après tout, puisqu’il ne souhaitait pas tomber en disgrâce aux yeux de tous, vieux et sans objets, il se devait de les laisser se montrer de bon conseil, même si cela ne lui était d’aucune aide.

Eux racontent qu’il n’a plus toute sa tête, car il est obsédé par la moustiquaire de sa porte-patio. Vous n’en croyez rien? Interrogez son fils qui lui rend occasionnellement visite…

moustiquaire4

« Eh bien il faut voir que depuis trois années, chaque fois que je vais le voir, il est question de cette sapristi moustiquaire! A force, tous ont hâte qu’il se retrouve dans une maison pour personnes âgées et qu’il cesse de lasser tout le monde avec cette moustiquaire. Cela devient pénible pour les autres! On dirait un enfant qui ne sait rien faire et qui voudrait tout avoir… mais qui a besoin des autres évidemment! Que voulez-vous, ça n’ira pas en s’améliorant! Pour l’instant il se débrouille car il peut aller à la banque, mais viendra le jour où je serai obligé de me charger de ses avoirs! Je m’y prépare mentalement. »

« Tiens il me téléphone justement »!

« Quoi? … venir manger chez toi samedi prochain? Bien non vois-tu… je te rappelle que je travaille toute la semaine moi! Lorsque le samedi arrive, je dois aller faire les emplettes et le soir venu j’ai absolument besoin de détente et de musique! D’ailleurs c’est ce que vivent tous ceux qui sont dans ma situation. Nous n’avons plus aucun temps à nous. Tu comprends j’en suis certain!

« Ah oui ce Noël nous partons en vacances dans le sud avec des amis. Je préfère t’en aviser longtemps à l’avance pour éviter que tu ne t’y prennes à la dernière minute pour trouver un endroit où aller réveillonner. Ça ne se fait pas, te laisser seul à Noël. Tu me connais: j’ai le coeur tendre! 

Quoi?  je suis fils unique? Ecoute crois-tu que je peux l’oublier puisque c’est moi qui doit tout faire pour toi »!

« Ah oui au fait, pendant que j’y suis, j’irai chez toi cette semaine pour te faire signer l’endossement de l’hypothèque du condo que j’achète. Essaie d’être là car je dois finaliser tout ça avec la banque. Quoi? écoute as-tu compris ce que je viens de dire? Evidemment que je n’aurai pas le temps de prendre le repas avec toi ce jour-là non plus. Il faudra remettre ça. Toi tu as des horaires flexibles, mais moi pas. Je sais bien que tu dois t’ennuyer. Il n’y a personne de ton âge dans ton entourage. J’y pense… n’en doute même pas! Je me dis souvent que je serais tranquille si je te savais entouré. Tu sais c’est facile: on fait tout disparaître chez toi en vendant ou en donnant à des oeuvres tout ce qui ne te sera plus utile (je conserverai pour toi les objets de valeur) et tu pourras te la couler douce dans une résidence pour personnes âgées.  Là-bas tu auras tout, mais alors tout ce qu’il te faut!

« Et le plus beau c’est que tu n’auras plus besoin de penser à ta moustiquaire car je te l’accorde, depuis trois ans qu’elle est éventrée, nous avons l’air de vivre à la mendicité. Je sais que tu es fier, moi aussi d’ailleurs, donc ça ne va pas. Attends j’ai quelqu’un sur une autre ligne, je te reviens. Oui? non non j’arrive bientôt. Je consolais mon père qui a toujours cet énorme problème de moustiquaire éventrée qui le détruit peu à peu. Je sais .. je suis sensible que veux-tu. Après tout c’est mon père! Oui d’accord je le lui dirai. »

« C’était Robert. Il m’a demandé de te dire de ne pas t’en faire parce qu’il y a des gens qui vivent bien pire situation. Prends les prisonniers… qu’il m’a dit: eux seraient heureux d’avoir une moustiquaire à la porte, même éventrée! C’est comme ça! On n’a pas tout ce qu’on veut dans la vie. C’est bien dommage d’ailleurs parce que moi aussi, si j’avais tout ce que je veux, je n’aurais plus besoin de toi pour l’hypothèque. »

« Bon allez. Prends soin de toi. Garde le moral. Tu disais? Ecoute je n’ai pas le temps de discuter. Une prochaine fois. Allez à bientôt. »

« J’espère qu’il ne se mettra pas en tête d’engager des frais exorbitants pour faire changer toute la porte-patio. L’hiver arrive. Ce serait une dépense insensée. Mais voilà, c’est ce que je dois craindre sans cesse de sa part, car il vieillit et n’a décidément plus toute sa tête. »

« Nous sommes différents, car moi, lorsque je serai vieux, je ne ferai pas tourner les autres en bourrique.  Je donnerai tout mon argent à mes enfants et j’irai vivre dans une maison pour personnes âgées et découragées. Je suis sûr que je pourrai leur remonter le moral. »

Que voulez-vous, la vie est injuste. Tu travailles toute ta vie et un jour ton existence fait chier les autres. Je sais bien… on peut jouer les forts et même les insouciants quand on a suffisamment de pognon et de ruse pour les tenir en respect, mais ils demeurent tout de même aux abois. A croire qu’en vivant longtemps on développe une aura qui rend les autres agressifs!

moustiquaire

Cette nuit-là, il faisait très chaud. Il n’avait plus de climatiseur. Son fils l’en avait débarrassé il y a trois étés de cela, lorsqu’il avait dû être hospitalisé d’urgence pour une appendicite. Lorsque l’hôpital avait rejoint son fils pour lui apprendre que son père était entré d’urgence à l’hôpital, celui-ci avait eu peur que des voleurs ne s’introduisent dans son appartement par la fenêtre où était situé le climatiseur et ne dérobent les objets de valeur.  Il les avaient donc tous emportés avec le climatiseur, afin de les mettre à l’abri.

Depuis ce temps, il n’y a plus que la porte-moustiquaire éventrée lorsqu’il fait chaud, comme cette nuit-là…  Mais il se gratte toute la nuit (les moustiques que voulez-vous) et il doit chasser les mouches toute la journée. On pourrait croire que ça l’occupe, mais avec l’âge il devient de plus en plus morose et se fatigue de tout.

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Que n’avait-il plus d’outils, tous donnés à son fils qui lui avait vanté les joies du bricolage, ni d’escabeau que celui-ci lui avait emprunté de façon définitive car il disait craindre qu’il fasse une chute. « Réfléchis: Je ne pourrai pas prendre soin de toi si tu te casses les deux jambes! Je ne peux pas continuellement être aux petits soins avec toi.  J’ai bien d’autres choses à faire! »

Cette nuit-là, il s’est levé et s’est dirigé vers la porte-moustiquaire, là où il y avait le trou béant, témoin de sa folie. Il décida de supprimer l’objet du litige entre lui et son fils, entre les attentes et les besoins maudits. Il s’élança dans la moustiquaire pour qu’elle cède enfin:  un premier geste vers la raison des autres!  L’état dans lequel elle se trouvait avait fait taire toute dignité en lui et avait accentué l’emprise du monde extérieur sur sa vie:  un monde sur lequel la seule ouverture que cette moustiquaire lui permettait d’avoir était depuis trop longtemps source de conflits.

L’été où il avait été hospitalisé, il n’avait pas protesté auprès de son fils du fait qu’aucun voleur n’aurait pu s’introduire chez lui par la fenêtre où se trouvait le climatiseur, puisqu’il demeurait au cinquième étage. Il se doutait qu’il l’aurait mal pris.

ELYAN

 

Ed Sheeran, Bocelli : Perfect Symphony

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Évolution

2079: Je suis repas

 

https://i0.wp.com/blog.gagny-abbesses.info/public/Carrieres_Saint_Pierre/2010/27022010/beauzet_terrier_renard_1.jpg

ANNONCE: Terrier pour humains à vendre: 1,233$ millions. Cause: décès. 3X4 mètres. Pouvant loger 6 survivants.

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Depuis 2048, les habitants de la Terre avaient migré sous la couche terrestre pour échapper à la chaleur qui s’installait de plus en plus.

La famille Desmarais avait acheté une ancienne mine abandonnée dans le nord du Québec. L’hiver, la température se maintenait à la normale: 38 degrés à l’ombre… Mais il n’y avait pas d’arbres.

L’appartement était luxueux, comprenant 3 chambres, une salle de bain et un petit cinéma maison alimenté par une batterie de voiture et un transformateur à courant continu.

Trois garde du corps étaient logés dans trois cylindres, à 20 mètres sous terre, payés en victuailles. Toute la ville de Montréal avait déménagé dans les anciennes installations de métro et d’autres corridors ajoutés. Mais tous attendaient pour migrer vers le Nord, assoiffés et affamés. Là, sous ce qui restait d’eau, il y avait encore des animaux vifs et vivants.

Chaque jour on triait au hasard une cinquantaine d’enfants, de femmes et d’hommes pour un voyage vers le pays de l’espoir.

***

— On peut sortir?

— Oui, il ne fait que 59 degrés.

Alors, toute la famille prit congé ce jour-là, allant se promener vers le Lac Séché. En route ils rencontrèrent quelques braves qui migraient vers le Nord. Le groupe regardait, esbaudi, le Van se déplacer sur la terre séchée parsemée d’oiseaux morts et de bêtes sauvages, la plupart vivant dans des terriers.

Armées d’un fusil, un des membres de la famille abattit un renard qui s’apprêtait à entrer dan son terrier.

On hurlait de joie.

— On aura de la viande ce soir, Yes!

Le trajet du retour dura une heure. Ils éviscèrent la bête et découpèrent les parties les plus délicieuses.

— Nous aurons de la laitue fraîche en provenance du Grand Nord et quelques pommes de terre.

***

Dans son périscope, le premier gardien, aperçut des silhouettes se dirigeant vers le château souterrain. Mais il n’arrivait pas à compter le nombre de créatures qui se dirigeaient vers eux, car il arrivait souvent que certains faisaient le détour de peur d’être abattus. Les Desmarais n’avaient rien à manger, mais ils avaient de l’argent et des armes. Au moment où il s’apprêtait à actionner la manette qui ferait grimper la nacelle du tube, un phénomène se produisit : un déluge de feu investissait le tube et la température du cylindre grimpa soudainement, envahi de flammes. Il tenta de communiquer avec les trois autres nacelles, mais sans succès. Il vit toutefois sur le petit écran,  une tête brûler, tordue, dont la peau se liquéfiait : Juliette.

— Juliette, mon amour! Répond-moi.

Les belles lèvres de Juliette commencèrent à gonfler, à boursoufler, et ses sa camisole réfrigérée fondit.

Il eut le temps de prendre son Walkie-talkie pour parler au groupe qui, il le savait, s’approchait.

— Je vous avais dit, les gars, de ne pas toucher au tube numéro 3. Juliette, mon amour, est de garde.

— Tu travailles pour eux, tu es aussi responsable qu’eux. Crève.

Et les deux amants fondirent sous un déluge de feu, l’arme la plus facile à trouver en cette année-là.

— Alors! On va manger Roméo?

— Je pense que tu as exagéré sur la dose : il n’est pas cuit, il est séché.

— Pas très important.

Ils se dirigèrent vers l’entrée de la mine et actionnèrent la combinaison qui ouvrait la porte.

En descendant le long corridor, ils se retrouvèrent devant la porte d’un élévateur opéré par 6 employés.

Lorsque la porte de la salle à manger s’ouvrit, la famille Desmarais, estomaquée, eut à faire face à une cinquantaine de personnes en loques, puants. Ils restèrent silencieux et le visage tordu de peur.

— Il y a bien 60 employés ici?

— Oui. Vous voulez du travail?

— Non. On est des mangeurs d’aristocrates… La meilleure chair en vogue ces temps-ci.

Ceux qui mangent du renard périront par le renard.

… Bonne nouvelle, mes amours. On a de la viande fraîche pour quelques semaines. Et gageons qu’ils ont du vin quelque part dans une galerie. Une galerie sans doute ornée des œuvres des grands peintres de ce monde. Et pas des copies…

On sortit le père Desmarais pour l’embrocher et le faire cuire à feu lent : 12 minutes.

***

Pendant qu’ils mangeaient, sur une longue table, deux gardiens avaient enfermé  le personnel dans une pièce désormais nommée El Frigo.

— Ils n’ont jamais compris que pour prolonger sa vie on doit garder ses proies vivantes. La viande se mange mieux quand elle est abattue quelques heures seulement avant le repas. Le porc a disparu de la surface de la terre, mais pas l’homme… Enfin! Il en disparaît quelques uns chaque jour. Pour une fois qu’ils servent à quelque chose.

© Gaëtan Pelletier, 5 août 2018