
Cette semaine à Moteur de recherche je me suis penché sur l’empreinte carbone des 4 touristes envoyés dans l’espace, juste pour le fun. Et parce qu’un milliardaire a le cash.Au moment où les plus hautes autorités scientifiques nous répètent sur toutes les tribunes que notre situation climatique est critique et qu’il faut par tous les moyens réduire nos émissions de gaz à effet de serre, rappelons pour commencer que la question des vols habités est encore loin de faire l’unanimité parmi la communauté scientifique intéressée par la question.En 2017, une chercheure au National Institute for Aerospace, Linda Billings, a publié un long article dans le magazine Theology and Science.Linda Billings a longtemps défendu les vols habités, elle travaillait notamment pour la US National Commission on Space.Dans un article intitulé «Est-ce que les humains devraient coloniser d’autres planètes? La réponse est non» elle expliquait que la notion même de vouloir envoyer des humains dans l’espace est viciée à la base.Elle dit, «c’est inefficace, c’est beaucoup trop cher payé pour les résultats escomptés et de toute façon, la question qu’on devrait se poser c’est à quoi ça sert?»Elle écrit «What’s the point?»Elle n’est pas la seule. En 2018 c’est un astronaute des missions Apollo lui-même, Bill Anders, qui était sur Apollo 8, qui plaidait pour que l’on s’en tienne aux robots pour effectuer des missions martiennes, notamment.Sa pensée en résumé: envoyer des robots est beeeeeen plus simple, beeeeeen moins cher et ça fait pas mal mieux la job.Question utilité maintenant.On s’entend, on en parle souvent à Moteur de recherche, la technologie spatiale est, la plupart du temps, d’une utilité scientifique indéniable.Que ce soit les sondes ou les satellites, ce sont de formidables instruments qui nous permettent de mieux nous comprendre, de mieux comprendre ce qui nous entoure, d’où on vient, etc.Le télescope spatial James-Webb qui sera lancé le 18 décembre prochain en est l’exemple le plus éclatant.Ça, c’est utile.Mais…. même quelqu’un très sensibilisé à la chose spatiale comme l’astronome royal britannique, Lord Rees of Ludlow, soulignait par exemple l’an dernier que le travail scientifique réalisé dans la station spatiale internationale ne valait pas du tout les 150 milliards de dollars américains que cette dernière a coûté.Il a dit et je cite: «On entend parler de l’ISS quand la toilette brise ou que Chris Hadfield chante devant un hublot, le télescope spatial Hubble ou les missions robotiques autour de Saturne ont été beaucoup plus rentables».Mais bon, il se fait de la science dans l’ISS.Les touristes spatiaux maintenant.Que vont-ils faire d’utile pour la société en orbite?En fait… pas grand chose, même si le nom de la mission a l’air d’un titre de livre de croissance personnelle: «Inspiration4».Bon, le vol va servir à lever des fonds pour un hôpital. On s’entend qu’on peut réaliser ça sans vol dans l’espace. Et btw, est-ce que les fusées d’Elon Musk sont polluantes? Beaucoup. Vraiment beaucoup.Les moteurs de fusées Falcon 9 utilisent un carburant qu’on appelle le RP-1, qui est une forme de kérosène raffiné.Le lancement de cette semaine a brûlé 30 000 gallons de ce RP-1 pour l’émission de 330 000 kilos d’équivalent CO2, donc chaque touriste spatial a émis 85 fois les émissions d’un passager qui traverse l’Atlantique dans un vol commercial.Et ce n’est que le début selon Musk qui aime à se positionner comme un penseur du futur.La chercheure Éloïse Marais de la University College de Londres a publié cet été un article à propos du tourisme spatial sur le site The Conversation.Selon ses estimations les touristes spatiaux vont émettre jusqu’à 100 fois plus de CO2 que les passagers des vols commerciaux.De plus, elle souligne dans son article que les 2/3 du carburant utilisé par ces touristes spatiaux sera émis dans des couches très sensibles de l’atmosphère, la stratosphère (entre 12 et 50 km) et la mésosphère (entre 50 et 85 km).De plus, les hautes températures générées par les véhicules spatiaux durant le lancement et la ré-entrée dans l’atmosphère transforment aussi selon ce qu’elle nous dit l’azote de l’air en oxydes d’azote qui sont très réactifs et qui nuisent à la couche d’ozone.Chaque fusée touristique d’Elon Musk va produire durant ses phases de sortie et d’entrée dans l’atmosphère, toujours selon la scientifique, entre 4 et 10 fois la quantité d’oxyde d’azote que la plus grosse centrale thermique britannique, la centrale DRAX.Le plus problématique selon la chercheuse, c’est qu’on comprend encore très mal les interactions entre les gaz d’échappement de ces fusées touristiques et la haute atmosphère et donc qu’on développe actuellement une industrie potentiellement très polluante en étant dans l’ignorance de ses effets à long terme.En plein crise climatique. Pour du tourisme.Je termine en la citant: «Pour que le législateur soit en mesure d’encadrer cette industrie naissante et d’en contrôler la pollution adéquatement, les scientifiques ont besoin de mieux comprendre quelles seront les conséquences atmosphériques des entreprises de ces astronautes milliardaires.»