
Roman policier historique de Larsen Joan Némare
L’inexplicable ne se produit presque jamais. En tant que policier, tu apprends à distinguer l’inexplicable de l’inattendu.
Avant le gel (2002)
Citations de Henning Mankell
L’inspecteur J0an Némare soupira:
– Où étiez-vous pendant la nuit du 8 mai 1945 et le 15 juillet 2025?
Il avait devant lui, le ramassis du pire ennemi de l’histoire: le gouvernement.
– Vous êtes le gouvernement, n’est-ce pas?
– Lequel? , répondit l’individu aux mains satinées.
– N’importe lequel, répondit Némare en s’allumant une cigarette.
– Vous voulez une clope?
Le gouvernement écarquilla les yeux, horrifié.
– Je ne fume pas, voyons! Cette saleté vous tue…
– Et les guerres? Vous les entretenez depuis des décennies…
– Mais nous ne sommes pas le 15 juillet 2025. Que se passera-t-il le 15 juillet 2025?
Némare soupira. Il avait enlevé son masque contre la pollution qui régnait dans la ville, car la salle d’interrogation était munie d’un filtre qui purifiait l’air 24 heures par jour. Un filtre fourni par l’État dans des centres névralgiques. Depuis les débuts de l’austérité, soit la crise 2008, il fallait aux policier nettoyer les filtres à chaque semaine. Peu importe le grade. Et Némare, malgré son grade de capitaine, en avait marre.
– La même chose qu’aujourd’hui monsieur gouvernement… Sachez que vous êtes accusé, vous et vos semblables du meurtre de la race humaine par cupidité, affilié à la famille des PPP ( Putains Pour Profits), avoir été négligents et comploté à des fins intimes et personnelles d’enrichissement sans précaution réelle et honnête.
Le gouvernement ébaucha un sourire espiègle et goguenard, sachant qu’il avait le pouvoir de faire disparaître ce petit capitaine de la liste des enquêteurs.
– On m’accuse de quoi, capitaine?
– Du meurtre d’une mère: la Terre. Sans compter les millions de victimes déplacées, tentant de refaire leur vie et leur culture dans d’autres pays que le leur, créant ainsi une friction entre les cultures. Ou meurtres en séries… Les guerres les ont forcé à se déplacer. Les migrants ou sans papiers, vous connaissez?
L’inspecteur toussa. Il prit une gorgée d’eau clarifiée au chlore, pendant que le gouvernement, calme, avala une lampée d’eau tirée des glaciers millénaire de ce qui restait du Nord.
– Vous divaguez…
– Et que dire de la pollution, des libres-échanges, des paradis fiscaux de vos « amis »?
– Vous permettez que je donne un coup de fil?
– Votre téléphone n’a pas de fil, gouvernement. C’est un téléphone « intelligent ».
Le gouvernement pouffa de rire.
– Faites votre appel…
Le capitaine fit apparaître sur son écran une montagne de téléphones empilés dans une rivière de Chine. Puis soudainement, l’appareil s’emballa: en l’espace de 2 minutes des milliers d’images apparurent à l’écran en saccades: des ours polaires amaigris, des citoyens portant des masques, des guerres en Afrique, des images d’enfants déchiquetés.
– J’ai faim.
– On vous apportera un repas. Pour l’instant, vous n’aurez droit qu’à la nourriture que l’on sert aux peuples.
Un serveur entra dans la pièce.
« Macaroni au fromage, riz de Chine, pommes de Chine, et poulet – oups- des élevages mexicains. Un poulet de 48 jours… Pas tout à fait à la taille normale. »
– Auriez-vous un autre menu?
– Poisson?
– Ah! Merci. Des oméga 3 et une bonne salade.
Puis il ajouta:
– Vous n’avez rien d’autre? C’est assez flou vos accusations.
Le capitaine poussa un soupir. Les murs du la salle s’ouvrirent sur un entrepôt immense.
– Un million de documents…. Monsieur Gouvernement.
… En passant, votre poisson vient des rivières avoisinant de mines du Grand Nord du Canada. Toujours pas nettoyées… Il avait trois têtes, mais on vous en a enlevé deux pour ne pas briser votre plaisir…
Puis il esquissa un faux sourire, tirant sa clope et lançant sa fumée secondaire sur le gouvernement. Puis il demanda ses 6 comprimés habituels contre la nausée.
– Cher capitaine, répondit le gouvernement, nous avons un système de santé qui accorde 70% de notre budget à la santé. N’est-ce pas une belle réalisation?
– Et le reste du budget?
– 20% à la défense et 10% pour le développement et l’entretien de nos citoyens. Dans dix ans, ce sera encore mieux…
– Ah! J’ai justement un test pour vous…
Le capitaine avait retrouvé sa bonne humeur.
***
On emmena le gouvernement dans une allée de pharmacie.
– Qu’est-ce qu’on fait ici? s’étonna le gouvernement.
– On fait ce que font tous les accusés du monde occidental: on teste.
Notre défi consiste à parcourir l’allée de la pharmacie et à avaler un médicament les yeux bandés. Si vous en sortez vivant au bout de l’allée, nous pourrons débattre à la télévision de vos bonnes intentions concernant l’humanité.
L’essai démarra à 18h00. En même temps que le journal télévisé.
À 18h00, la moitié de la planète était rivée aux écrans géants de leurs demeures. La totale télé-réalité.
La « course » démarra lentement. L’allée avait 12 mètres. À l’autre bout du monde, certains avaient passé la nuit à préparer ce sport extrême et des commanditaires avaient créé des pubs pour l’événement.
Pendant une heure, les deux hommes déambulèrent l’allée en un pas lent, tâtant chaque flacon, chaque boîte, et lorsqu’un bruit de clochette se faisait entendre, chacun devait avaler un comprimé ou un liquide qu’il tenait dans la main.
Au bout de 24 minutes, le gouvernement parut flancher; il s’écroula dans l’allée, respirant difficilement, pendant que le capitaine, entendant les râlements du gouvernement, levait les bras en signe de victoire.
Toutefois, à la 59 e minute, le capitaine se mit à trembloter. Mais il poursuivit sa route en tanguant. À la minute 123, les deux hommes commencèrent à transpirer. Il ne restait que quelques mètres avant l’arrivée du fil et les spectateurs hurlaient devant ce « combat » présenté sur écran géant. À la 143 e minute, les deux hommes s’effondrèrent.
Un seul se releva.
Le gouvernement.
La bourse de NY fit un bond.
Et tous les spectateurs applaudirent. On pleurait, on se mouchait, on s’accolait, et on levait son verre.
***
Dans les coulisses, le gouvernement poussa un soupir de soulagement et se mit à ricaner. Grâce au service de renseignements, il avait appris par cœur tous les emplacements des ingrédients des allées par la construction d’une pharmacie tout à fait semblable à celle désignée. Payée par les contribuables.
Il prit son téléphone et contacta le président des États-Unis.
– Alors tout s’est bien passé? , s’enquit celui-ci.
– Parfaitement. Je suis un peu fatigué, mais je vais m’en remettre grâce aux produits naturels que vous m’avez conseillé.
Un serviteur noir, ganté de blanc, alla porter au président son breuvage favori avant d’aller au lit. Puis il replaça sur le bureau la plaque tombée par terre du nom du président, Zoup Wong Dong.
Gaëtan Pelletier
Dédié à
Philip K. Dick, qui retrouva 17 manuscrits devant sa porte, tous refusés. Un fou!