
Groinnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn!
Les porcs indiquent le plus souvent le « gronk » (généralement connu sous le nom de « oink »). Ils ont un rituel raffiné de courtoisie, y compris une chanson entre les mâles et les femelles. Les porcelets nouveau-néss apprennent à fonctionner à la voix de leur mère .Les porcs apprécient la musique.
. Le cochon, animal social
J’aime les porcs. Les chiens nous regardent avec vénération.Les chats nous toisent avec dédain. Lescochons nous considèrent comme des égaux.
Wiston Churchill

Il y a bien des étapes dans la vie. L’une des plus belles se situe au commencement de celle-ci : on n’a pas de projet, on est le projet. Les plus affligeantes attentes sont les plus angoissantes. Et c’est au moment où tout n’est que projet. Et c’est de cette manière que les gens passent aujourd’hui leur temps : dans la peur de ne jamais rien terminer. Tout simplement parce qu’ils n’arrivent pas à se concentrer sur ce qu’ils sont en train de faire, mais obsédés par la phase dite finale. Alors, on se retrouve toujours avec un bas différent. Et deux bas de «mouture» moyenne, puisque l’un a été fabriqué dans la hâte de crainte que l’autre nous échappe.
Il survient alors, à l’achèvement de l’existence, comme une sorte de retour vers cette enfance à l’âme pure, sans souillure : rien à terminer. Et c’est ainsi que je suis devenu, tranquillement, péniblement, un «lâche-prise». De sorte qu’aujourd’hui, ma plus belle réussite est de tricoter un bas sans me soucier si j’aurai le temps de tricoter l’autre.
***
Peu après mes six ans, mon père décida que ce n’était pas encore le temps pour moi d’aller à l’école. Il avait trouvé un emploi de cuisinier dans le nord de l’Ontario. Mes parents firent les rapidement préparatifs et nous quittâmes le petit village de Sully pour un long trajet en auto.
Pour ce qui était de l’école, il fallait se soumettre à l’impératif de l’époque : manger. Les besoins primaires.
– Tu iras plus tard… L’an prochain…
Partis un soir d’octobre, en automobile, par un matin frisquet, alors que les herbes avaient des engelures le voyage m’angoissait un peu. C’était dans les années cinquante. Les routes bordant le Saint-Laurent étaient sinueuses… Mais sans trop de trafic. La randonnée, toutefois, me parue longue. Nous nous sommes s’est arrêtés pour le déjeuner « Au Martinet», à La Pocatière. Après ce fut Québec, Montréal.
La nuit venue, nous nous fîmes un arrêt à un motel. Pendant ce temps, mon frère qui avait à peine un an, avait eu le temps de faire «ses besoins » dans l’auto…et sur moi, ronflant sur le siège arrière. Les odeurs étaient insupportables. Je voyais le tableau de bord tout illuminé, danser dans une sorte de gigue, de par ma tête qui oscillait entre le réveil et le sommeil.
*

Le trajet jusqu’au camp se fit dans une Autoneige B-12 Bombardier avec de hublots ronds, à travers lesquels je scrutais ce paysage triste d’automne, avec ses arbres défoliés, cette humidité qui emplissait l’atmosphère Il n’y avait pas de route pour s’y rendre. Seulement une voie raboteuse et ardue. Le trajet me parut une éternité.
*
L’hiver arriva. Les chutes de neiges recouvrirent les bois. Un beau duvet blanc, dans la patience infinie des flocons. Et à tous les matins, on m’envoyait jouer dehors. C’est par un de ces matins que je vis le cochon attendre son repas : les restes du petit déjeuner que mon père, cuisinier, balançait sur la neige avec une chaudière de métal. De la nourriture chaude qui au contact du tapis glacé faisaient se soulever des panages de vapeurs et des exhalaisons aux effluves vibrantes et composites. Le cochon avalait ce repas avec un appétit insatiable. Je le regardais, sans broncher, et il semblait ne pas trop se soucier de moi.
Après quelques matins, il remarqua ma présence. Il se tourna et me regarda. Je scrutai longuement ce regard aux yeux rouges et ces étranges sourcils roses. Il se rapprocha pour me renifler avec ses deux grosses narines boursoufflées, la tête hautaine, les oreilles pendantes. Je ne ressentais aucune crainte. Il me semblait que nous avions la même pour curiosité pour les êtres étranges que nous étions l’un pour l’autre. Il ressemblait à une tirelire vivante. C’est tout ce que je connaissais des cochons. Que savait-il de moi? Je l’ignorais. Mais nous avions une chose en commun : aucun préjugé. Je n’avais pas lu sur les cochons, et lui n’avait pas lu sur les humains. Nous étions deux solitudes, absentés de nos semblables, qui cherchaient désespérément un contact.
Nous sommes prudemment devenus amis. On a fini par trouver un beau compromis : jouer.
Je courais et il essayait de m’attraper. Je m’arrêtais, puis je repartais. Je pense qu’il avait compris le jeu : il m’attendait en s’immobilisant. Nous recommencions alors le même stratège.
Le jeu se terminait quand mon père m’appelait pour aller manger.
Plus les jours passaient, plus nous étions attachés et fidèles. Il devint si habitué à mes sorties qu’il m’attendait à la porte le matin. Je descendais les deux ou trois marches et lui caressais le crâne. Puis un jour j’eus l’idée de grimper sur lui. Je le pris pour un cheval. Et lui se prit à ce jeu que nous répétions par la suite à tous les matins. Dès que je m’étais installé, il partait en à toute allure dans son trajet devenu habituel : faire le tour du camp. En tournant les coins de la bâtisse, dans son trajet brisé et brusque, il me désarçonnait et je tombais la face en plein dans la neige. Je me relevais, sonné, le capuchon tout croche. Le cochon s’arrêtait et m’attendait. Pataud, je me relevais et reprenais ma monture. C’était une drôle d’impression : plus je devenais habile, plus la monture grossissait. Au début, on l’aurait dit adapté à ma taille. Vers la fin, toutefois, on aurait dit qu’il grossissait pour me défier. Je montais alors une gros bête large, trapue, et de plus en plus batailleuse. Car je vis plus tard que c’est comme ça que ça se passe dans la vie : les défis, on dirait, deviennent plus gros, plus «résistants».
Le jeu dura je ne sais combien de mois. Les enfants n’ont pas la notion du temps, ils ont celle du froid, de la chaleur, des émotions. Et personne n’en fait des horloges de ces émotions. Personne n’a pensé à faire du froid ou de la chaleur des horloges.
Il a fallu des adultes, plus tard, pour regarder le ciel, les saisons, bref, sortir d’eux pour essayer de comprendre l’univers dans le quel ils vivaient. Puis plus tard encore, ils utilisèrent se «temps» pour avilir les Hommes. Ils le hachèrent comme on hache les parties d’un cochon pour s’en nourrir. Ils le hachèrent pour créer des esclaves. J’ignorais à ce moment que le cochon pût être un esclave. Mais, en fait, c’était une bête en liberté qui restait alentour du camp parce que chaque jour lui apportait ses besoins primaires. Il avait été «domestiqué». Mais moi je ne l’étais pas encore.
Au printemps, début mars, quand le soleil se mit à dissoudre lentement cette poudre blanche, de petits étangs agités par le vent s’installèrent sur la croûte durcie par les traîneaux et les chevaux. Ma monture disparut. Je ne posai pas de questions. L’esclave avait-il pris la fuite? L’esclave avait-il trouvé meilleure nourriture que les restes des repas des humains?
Comment savoir? L’instinct, ici, ne fonctionnait pas.
Je m’attendais à ce qu’il soit là à tous les matins, comme d’habitude. Mais j’étais à la fois inquiet et surpris : inquiet de son absence et surpris par tous les reflets qui poussaient sur la neige et les flaques d’eau. Comme si la vie revenait tranquillement. Une autre vie. Une vie qui me ramènerait un autre compagnon.
Les conifères enneigés se mirent à pleurer et à verdir. Et des chants d’oiseaux emplirent peu à peu la forêt. Et l’arrière du camp ne fut plus souillé par les restes du déjeuner.
L’ami ne se présenta plus.
Et je ne l’attendis plus : deux enfants venaient d’arriver au camp. Et c’est avec eux que j’appris de nouveaux jeux. Entre autres, celui de créer des images à l’aide de cubes. Celle qui m’étonna et me marqua pour la vie représentait le diable. J’ignorais alors ce qu’était un diable, un Satan. Mais la créature n’avait rien de rose : c’était une sorte de monstre «hors-vie», cornée, à longue queue. Je pense que j’ai eu peur. Mais je ne savais pas pourquoi j’avais peur. C’était par instinct. Le cochon, lui qui se vautrait dans la vase, lui qui était souvent sale, lui qui avalait les restes de repas parfois puants, portait à confiance. . En fait, je pensais qu’en grandissant tout le monde devenait un beau cochon gentil. Mais ce jeu-là, ce jeu «arrêté», à accoupler des cubes pour en faire des images m’a a la fois attiré et répugné. On aurait dit qu’à force de vivre avec un cochon, j’avais appris à reconnaître les créatures de ce monde en lorgnant l’invisible.
J’ai continué à jouer au jeu des cubes. Sur un côté il y avait un lac, sur l’autre un ciel, et sur le troisième un animal agile, griffé, mais gros comme un chat qui aurait vécu dans un camp.
Le temps passa. Un temps trafiqué, mais un temps tout de même.
Moi j’engraissais… Les repas avaient un goût nouveau dont j’appréciais grandement la saveur.
Et plus j’en avalais, plus je courais vite.
J’avais les joues roses, qui s’empourpraient. Et je jour où je passai devant un miroir, étrangement, je vis que mon regard n’était pas si différent de celui de ma monture.
***
Combien d’années? Combien de ces ans ont passé avant que je m’arrête devant cette usine à tuer des cochons, à les dépecer? Je ne sais… Trente ans, quarante ans?
Je sais seulement que personne ne voulait débiter ces bêtes pour un salaire aussi minable qu’on offrait ici. Alors on fit venir du bout du monde de gens qui parlaient une langue que personne ici ne comprend. Des gens de pays si pauvres qu’ils n’ont rien à jeter aux cochons pour qu’ils restent avec eux, n’ayant eux-mêmes rien pour se nourrir.
Alors ils quittent leur pays pour se nourrir des restes de repas que nous jetons par la porte.
Ils essaient d’apprendre que le temps va si vite, que les besoins primaires sont encore si pressants, qu’on n’a pas le temps de se faire des amis en les taillant avant de bien les regarder dans les yeux.
Et quand ils se promènent dans le village, les gens ne leur portent pas trop d’attention : ce ne sont que des dépeceurs de cochons.
Gaëtan Pelletier