
« Les oiseaux on les os vides, c’est
une des raisons pour laquelle ils peuvent voler ».
Bang!
Il y eu un bruit de craquement à bord du 7117. Les passagers poussèrent un cri. Parmi ceux-ci se trouvaient deux militaires, deux bonnes soeurs, une prostituée, et un gamin qui jouait avec son petit simulateur de vol de poche. Il rêvait de devenir pilote. Il avait toujours habité au bord de la mer, près des côtes de la Nouvelle Angleterre, et sa passion pour le vol des oiseaux décourageait son père. Il passait des heures à les regarder voler, planer, et se poser doucement sur les rochers abrupts.
Le pilote, crispé, poussa un soupir. Mais le pire était à venir. L’aéroport de Portland avait annoncé un système de turbulences en plein milieu du courant jet de l’atmosphère. Des vents violents issus des masses d’air chaudes et froides en contact se formait un orage.
L’enfant rentrait chez lui après quelques semaines dans un camp de vacances.
*
Près de la masse d’air, qui commençait à s’agiter, un oiseau allait rejoindre son nid. Il y avait une petite tache orange-brûlé à son col. Le vent soufflait en rafales et des entonnoirs d’air en chamaille tournoyaient au ras du sol, soulevant quelques débris, dont un avion de papier lancé par un enfant. Il l’évita de justesse.
*
– Je vais faire appel au centre de contrôle.
Il mirent deux ordinateurs à la disposition du pilote. L’un analysait le mouvement des masses d’air, les vents, ainsi que les prévisions de leurs trajectoire, leur force, etc. L’autre prenait les renseignement et traçait une trajectoire parfaite pour éviter les trajets les plus dangereux.
– Nous allons entrer dans des turbulences. Ne vous inquiétez pas. Que chaque passager boucle sa ceinture.
Déjà, les vents faisaient trembler l’appareil.
Les ordinateurs fonctionnaient à leur pleine puissance. Le pilote suivait scrupuleusement les consignes: il tournait à droite, tournait à gauche, descendait, remontait. Mais l’appareil ne cessait de s’agiter et de vibrer sous la vigueur des rafales imprévisibles.
– N’aie pas peur, dit la mère au gamin pour le rassurer.
Elle tremblotait. Ses mains saisirent un verre d’eau qu’elle renversa.
L’avion se mit brusquement en piqué.
Les ordinateurs, comme affolés, incapables de suivre – encore plus de prévoir – les mouvements des deux systèmes commencèrent à émettre des informations contradictoires. À tel point que le pilote s’inquiéta et se demanda s’il ne devait pas suivre son instinct.
– Pas question.
Les ordres. Toujours les ordres.
– Vous avez 344 passagers à bord. Vous risquez leur vie. Et la vôtre, ajoutèrent-ils pour le convaincre.
Le contrôleur ne put s’empêcher d’esquisser un sourire, comme s’il avait trouvé l’argument ultime.
*
L’oiseau se mit à voler en un vol saccadé et un peu fou. Il tournait en tous sens pour éviter les bourrasques, remontait, vrillait, repoussé vers l’arrière, lancé en avant. Il ressemblait à une boule de papier transporté par tous les remous de la tempête qui s’agitait…
Mais il allait droit vers son nid.
*
– Vous avez dévié de la trajectoire, annonça la tour.
– Notre système nous indique que nous allons dans la bonne direction.
– Merde!
– Que se passe-t-il?
– Il va falloir utiliser l’ordinateur de l’armée de l’air. Ça ne suffit pas. Ils sont trop surchargés d’informations. Ils n’arrivent pas à …
– … À quoi?
Pas de réponse.
Au bout de quelques minutes les informations affluèrent.
*
L’enfant, placé près des deux hôtesses de l’air, entendit leur conversation. Mais pas vraiment. Les sons avait imprégnés son cerveau, mais rivé à son jeu il ne se rendit pas compte qu’il agissait de façon inconsciente. Il prit son petit ordinateur portatif et simula une tempête.
– Ne t’inquiète pas, ajouta la mère qui avala un comprimé pour se calmer.
*
L’oiseau poursuivait son vol. Il n’avait jamais douté de celui-ci. Il persévérait dans son parcours. Là où il semblait chuter, il se redressait. Sans faille.
*
Le pilote commençait à s’inquiéter: des éclairs éclaboussaient le ciel. Les passagers frémissaient d’angoisse.
Les bonnes soeurs égrenaient leur chapelet.
– Nous allons mourir, s’écria une vieille dame.
– Elle a peut-être raison, fit remarquer le militaire.
Elles se retournèrent vers l’enfant, le regardant, se disant qu’elles auraient aimé être comme lui, inconscient, ou presque, de tout ce qui se passait.
Quant aux deux soldats, ils regardaient eux aussi l’enfant, sans trop comprendre. L’un fit remarquer à l’autre:
– À cet âge, on est tous des cervelles d’oiseau…
Mais personne n’avait envie de sourire.
L’enfant avait un plaisir fou. D’autant que l’appareil qu’il pilotait sur son jeu électronique était de plus en plus conforme à la réalité: l’appareil vibrait, le gamin était secoué sur son siège, l’avion plongeait, penchait vers la droite. Il le redressait aussitôt. Et cela fonctionnait. À chaque fois qu’il tournait la petite manette vers la droite, le gros 7117 prenait le même angle. De plus, les bruits s’accentuaient: des craquements, des conversations…
Sa mère s’inquiétait. Son ouïe surdéveloppé pouvait faire en sorte qu’il pouvait saisir les conversation des pilotes à travers la paroi de la cabine. De sorte qu’elle craignait qu’il eût peur. À la maison, dans une autre pièce, il pouvait capter les conversations de ceux qui parlaient à l’autre bout. Cela lui était familier. Rien de nouveau. Il était né avec ce sens trop aiguisé.
*
L’oiseau poursuivait sa route. En vrilles, en saccades. Pourtant rien ne l’arrêtait: il pouvait se redresser et corriger son vol en passant de toutes les subtilités apprises. Il pouvait laisser ses ailes flotter au moment où il le fallait, exercer un battement en temps voulu, descendre, remonter, et ainsi se livrer à des acrobaties en s’ajustant au quart de secondes, multiplier les combinaisons de vol. Cela aisément…
Il n’avait jamais douté.
*
L’enfant suait. Son front perlé de gouttelettes témoignait de ses efforts. Et ses yeux agrandis, rieurs, de sa passion.
– Qu’est-ce qui se passe? Vous approchez de la piste…
– Je n’ai plus le contrôle. Je ne sais pas si ce sont les ordinateurs… Je n’arrive pas à contrôler l’appareil. Je tourne à droite et l’avion tourne à gauche…
Il y eut un silence.
– C’est impossible.
– Alors venez piloter vous-même cet appareil. Il est complètement dingue. Je vais aller chercher les chapelets des bonnes soeurs… Il n’y a plus rien à faire…
– Pourtant, vous êtes sur la bonne piste…
…..
… toutes mes excuses… Je veux dire, vous vous dirigez droit vers la piste. Il ne reste que l’altitude à corriger.
– Quoi! Je vous entends mal…
– L’altitude…
Son micro était ouvert et les passagers entendirent le message.
L’enfant tira sur le manche. L’appareil se redressa. Il appuya sur le « F » pour flaps, et sur le G pour actionner le train d’atterrissage.
– C’est parfait.
– Pardon?
– Parfait.
– Mais je n’ai aucun contrôle sur l’appareil. Tout se passe comme si quelqu’un pilotait à ma place.
Les contrôleurs de la tour restèrent figés, pantelants. Ils ne dirent mot.
*
L’oiseau approchait de son nid. Il vit les lumières et laissa ses ailes le porter lentement vers le vieux hangar abandonné: son nid était là.
*
L’enfant jubilait. L’avion, sur son écran, descendait lentement vers la piste.
Et quand il se posa, il tourna le regard et vit les camions de pompier et les ambulances rouler à toute vitesse sur la piste. Cela faisait partie de son jeu. Son oeil allumé et fier les scrutait comme hypnotisé par ce bal lumineux se déroulant devant lui.
L’appareil s’immobilisa.
Il détacha sa ceinture et hurla:
– Tout le monde dehors.
La porte s’ouvrit et une glissade en caoutchouc se gonfla et se déploya vers la piste.
Il s’y lança en criant, heureux. Les autres, encore figés, restèrent immobilisés sur leur siège.
*
L’oiseau avait presque terminé son vol. Mais un peu fatigué il se laissa porter par l’air le long de l’avion.
L’enfant se retourna et vit l’oiseau se poser sur son épaule.
Leurs regards se croisèrent. Ils ignoraient ce qui les avaient réunis. Pourtant, sans qu’ils en parlent, sans qu’un son soit émis, ils trouvaient tous les deux naturels d’être là, ensemble, devant ces lumières d’un rouge vif, comme s’il y avait danger….
– On a réussi, s’exclama l’enfant.
L’oiseau battit des ailes, comme pour se secouer, et bécota la tête frisottée de l’enfant. Comme si c’était son oisillon…
Ni l’un ni l’autre, à un seul moment, n’en avait douté.
Gaëtan Pelletier, août 2001