Archives quotidiennes : 14-novembre-2013

L’histoire de la corde à linge

1960

 

2013

 

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L’ancien Facebook

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CRACHONS SUR LA TOMBE DU GÉNÉRAL CUSTER AVEC JOHNNY CASH

 

Rares les dates joyeuses dans l’histoire des guerres indiennes, litanie de massacres coloniaux. Le 25 juin 1876 fait exception à la règle : ce jour-là, un certain Général Custer se fait ratiboiser avec ses troupes à Little Big Horn. Jour sombre pour la bannière étoilée et répit de courte durée pour les Indiens. Une date qui inspira le grand Johnny Cash, entre sarcasme et country limpide.

Johnny Cash, « Custer », 1964« Pour certains, c’était un héros. Pour moi c’était un zéro1 ». Pas fan du Général Custer, Johnny Cash. Et peu enclin à la compassion malgré le décès violent du susdit à Little Big Horn, le 25 juin 1876 – « Douze milliers de guerriers l’attendaient, c’était imprévu / Et le général, il ne galope plus très bien désormais2. » Oui, on entend presque Johnny se poiler à l’évocation de sa mort. Logique. Pleurer la disparition du massacreur de Washita, du « grand pacificateur » des contrées indiennes ? Faut pas charrier.

Même si l’historiographie a récemment déchargé Custer de certains immondices (Ce n’est pas lui qui aurait dit « Un bon indien est un indien mort » et l’ampleur du massacre de Washita a été un brin revue à la baisse3), le général à la longue chevelure blondasse comme les blés de son Ohio natal – « Oh oui, les cheveux blonds du Général Georges A. Custer avaient un certain lustre / Mais il ne galope plus très bien désormais »4, ricane Cash – reste un symbole de l’extermination du peuple indien, « sport » qu’il pratiquait avec autant d’enthousiasme que Buffalo Bill envers le peuple bison. Un des grands salopards de l’histoire, tué alors qu’il ambitionnait de se présenter aux présidentielles – il lui manquait juste une dernière victoire sur les Indiens pour lancer sa campagne sous de bons auspices. Fail.

Comme de juste, Johnny Cash se marre, répétant en boucle «  he don’t ride well anymore  », épitaphe rigolarde. La chanson est tirée de l’album Bitter Tears – Ballads of the american indian (1964), pépite country méconnue. Cash y chante les malheurs des amérindiens, leurslarmes amères (Bitter Tears), les promesses jamais tenues des envahisseurs5 et les massacres à répétition. Le chanteur a toujours revendiqué une ascendance indienne, affirmant que du sang Cherokee coulait dans ses veines6. Outre la légitime haine inspirée à tout homme de bien par Custer et ses semblables, il se peut que cela ait aiguisé son fiel. Amers Indiens.

Custer apparaît aussi dans le film Little Big Man (1970), d’Arthur Penn, qui le ridiculise dans les grandes largeurs. Vaniteux, stupide, mégalo, le héros de la guerre de Sécession se dégonfle pour laisser place à un personnage aussi glorieux qu’une flaque de boue. Pffft. Dans un autre registre, moins frontal, « Please M. Custer » (ci-dessus), hit de Larry Verne dans les années 1960, dévoile le quotidien du troufion moyen sur le sentier de la guerre. Pas la joie de servir sous les ordres de Custer ; l’attente avant la bataille, les cris de l’ennemi, les flèches qui fusent, avec cette supplique comme seul remède : «  S’il vous plaît, Monsieur Custer, je veux pas y aller.  » Et plus loin, en aparté : « Je me demande comment on dit « ami » en peau rouge ? Voyons voir… « ami »… ah oui, « Kemo sabe », c’est ça. KEMO SABE ! Eh, là-bas, j’ai dit KEMO SABE ! » Too late, les flèches crépitent, la « nuit apache » (copyright Bérus) s’abat sur le malheureux… Fallait pas s’engager, eh, banane.

Mais assez parlé de Custer. Comme son homologue ès massacres indiens John Chivington, le général glapit en enfer – et c’est tant mieux. Pour élargir l’approche, votre serviteur conseille de se tourner vers Richard Desjardins, fringant Québécois qui, avec « Les Yankees » (ci-dessus), a su résumer la question indienne de la plus belle des manières. Pas de référent historique précis, pas de noms ni de dates, simplement la chronique d’un Empire « yankee » fou qui pose sa patte de fer sur les derniers humains de la terre. Aux menaces de l’envahisseur – «  Nous venons de la part du Big Control, son laser vibre dans le pôle, nous avons tout tout tout conquis jusqu’à la glace des galaxies. Le président m’a commandé de pacifier le monde entier. […] . Maint’nant assez de discussion et signez-moi la reddition » –, les Indiens rétorquent par des paroles pleines de sagesses : « Gringo ! T’auras rien de nous. De ma mémoire de titan, mémoire de ’tit enfant, ça fait longtemps que je t’attends. Gringo ! Va-t-en ! Va-t-en ! Allez Gringo ! Que Dieu te blesse !  ».

Que Dieu te blesse ? Pour Custer, au moins, c’est chose faite. Petite consolation…


1 To some he was a hero but to me his score was zero

2 Twelve thousand warriors waited they were unanticipated / And the General he don’t ride well anymore

3 La proportion de femmes et enfants massacrée serait moindre que ça n’a été longtemps dit. Ceci dit, la pseudo bataille de Washita reste, avec Wounded Kneeet Sand Creek, l’un des épisodes les plus noirs d’une histoire pas glorieuse.

4 General George A.Custer oh his yellow hair had lustre / But the General he don’t ride well anymore.

5 La magnifique « As Long as the grass shall grow » fait ainsi référence à l’engagement (aussitôt violé) de laisser une tribu iroquoise en paix pour l’éternité (« Tant que l’herbe poussera  ») si elle acceptait de déménager en des terres éloignées.

6 Il revint sur cette affirmation dans les années 1990, quand il découvrit, ô malheur, que son arbre généalogique plantait ses racines en Écosse.

 

 

Maria José, jeune hondurienne sur la route de l’enfer

 

 

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Propos recueillis par Ilka Oliva Corado

5 novembre 2013 

. Il y avait des centaines de personnes qui se lançaient à l’assaut du train en marche, et moi aussi je devais grimper, mais je ne savais comment parce que j’avais peur de tomber sur les voies et que le train me passe dessus.

Passaient les wagons, les citernes, les containers mais on conseille à ceux qui s’en vont de monter sur un wagon ou sur le toit d’un container parce que les citernes, c’est très dangereux, de là bien des personnes sont tombées, et elles se sont tuées.

 

J’ai traversé le rio Usumacinta à Tenosique, Tabasco. Je suis hondurienne, nous avions voyagé en camionnette jusqu’à côté d’el Petén, Guatemala et de là, nous avons traversé sur un radeau. Mais à peine avions nous mis les pieds au Mexique que déjà la police nous demandait de l’argent, les autres personnes de mon groupe, oui, elles ont payé ; mais moi, j’avais seulement pour trois jours de nourriture et ils me l’ont prise et ils m’ont conduite à part, vers la patrouille, là, le chef des policiers m’a prise, il m’obligea à lui pratiquer  le sexe oral et il me pris aussi, par derrière, comme si je ne ressentais pas la douleur, comme s’ils pensaient que j’aimais ça, qu’on me prenne, comme ça, de dos, si vous aviez entendu ce qu’ils me disaient, ce sont des pervers, vous auriez du entendre ce qu’ils me disaient, que nous autres, les centraméricaines nous venions au Mexique en quête, parce que nos hommes ne servent à rien. Il me dit que nous étions toutes des putes, qui nous venions pour travailler dans des bars à putes.

Ils me laissèrent partir en me disant que si je racontais quoi que ce soit, ils me mettraient en prison pour une année, et qu’après ils me renverraient dans mon pays. Je savais déjà que cela pouvait se produire, quelques-unes de celles qui rentraient dans mon quartier après avoir été ainsi déportées me l’ont raconté, c’est  à cause de cela que j’avais fait l’injection, pour ne pas me retrouver enceinte si cela se produisait.

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Caravane des familles de migrant(e)s disparu qparties d’Amérique Centrale

 

J’avais 16 ans et j’avais laissé mon bébé de cinq mois aux soins de ma grand-mère maternelle, c’est le fils de mon oncle Juan, le frère de ma maman, il m’a violée et mise enceinte, moi, j’ai tout de suite raconté à mes parents ce qui c’était passé, mais ils me dirent que c’était de ma faute, que je m’étais soumise, mon oncle était déjà marié et il a quatre filles. Ils me dirent que si je disais quoique ce soit, ils me jetteraient dehors et quand les gens demandaient de qui j’étais enceinte, ils répondaient qu’ils n’en savaient rien parce que je ne voulais pas le dire.

J’ai eu mon enfant et je l’ai confié à ma grand-mère qui m’a conseillé de partir pour les Etats-Unis afin de pouvoir l’élever. Je l’aime, c’est mon fils, le sang de mon sang, tu l’aurais vu, bien portant, et beau, pesant près de 9 livres et il ressemble à ma maman. Je l’ai vu en photos.

Non, je n’ai pas étudié, je travaillais dans une maquila (NdT : fabrique des zones franches où les ouvriers essentiellement des femmes sont surexploités, quasi incarcérés parfois), je coupais les doublures des pantalons de toile. Je n’ai fait que les primaires. La vérité, c’est que jamais je n’ai pensé à aller à l’université, cela vole trop haut pour moi, c’est pour d’autre sorte de gens pas pour ceux qui sont fauchés comme nous, pour certains, ce qui les préoccupe, est de se demander comment ils vont faire pour avoir à manger, payer l’électricité, et l’eau, pour qu’elles ne soient pas coupées ;

Mon fils, oui, je voudrais lui permettre d’étudier, parce que je ne voudrais pas qu’il reste stupide, comme sa maman, j’aimerais qu’il soit docteur, ou ce qui lui plaira, mais moi j’aimerais qu’il soit un de ces docteurs qui paraissent si élégants quand on les voit dans leurs blouses blanches.

Bon, cela m’a fait mal de le laisser parce que c’est mon fils, mais dès que je me suis retrouvée enceinte de mon oncle, ma famille n’a fait que me chercher querelle, sans arrêt, ma maman me frappait, pour que mes chaleurs me passent, disait-elle, et elle plaignait mon oncle, le pauvret, qui avait été obligé par sa nature d’’homme de me faire le mal. Moi, je ne pouvais pas vivre comme ça, alors j’ai décidé de partir pour un mieux.

 

Cela a été fort difficile de me décider à sauter parce que le train allait très vite mais si je ne le faisais pas, je resterais là, et moi, ce que je voulais, c’était d’arriver à Maryland parce que là vivait une tante qui est une sœur de ma maman. Après ce que me fit le policier, je ne pouvais plus marcher, on me renseigna une auberge pour les migrants, là ils me reçurent et me donnèrent des médicaments contre la douleur, vous devriez voir quels gens, tellement bénis qu’ils s’enlèvent le pain de la bouche pour le donner à des inconnus. Je n’étais pas la seule m’être fait violer, plusieurs autres avaient été violées dans le train parce qu’une bande de cagoulés le prit d’assaut, ils disaient qu’ils étaient des Zetas. Ils demandèrent beaucoup d’argent en dollars et comme les gens n’en avaient pas, ils dirent qu’ils en jetteraient quelques-uns du train et que les autres, ils les tueraient à coups de machette. Moi, j’’ai vu deux hommes sans jambes parce que le train les leur a coupées lorsqu’ils tombèrent sur la voie, taisez-vous, c’est d’un sordide tout ça.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(.La Bestia, la bête esst le nom donné au trains qu’empruntent les migrants)

 

 

L’un vient peiner sur d’autres terres que les siennes par nécessité, voyez-vous, si chacun avait à manger, il ne quitterait pas son pays. Quoique, regardez, moi j’avais à manger, même si ce n’était que des tortillas avec du sel, mais mon cœur ne pouvait supporter tant de douleur, tant de mauvais traitements et d’humiliations, je devais rencontrer mon oncle quand il venait avec sa famille rendre visite à la mienne, et sa femme, elle aussi savait ce qu’il m’avait fait et avait cessé de me parler, elle aussi rejetait la faute sur moi.

 

C’est alors que quelques filles me dirent qu’elles allaient prendre la route et me proposèrent de venir avec elles, nous sommes parties avec celui du passage , il ne nous a pas conduites plus loin que la frontière entre le Guatemala et le Mexique, là nous pensions travailler, même à ramasser les ordures dans les locaux en attendant, mais nous étions toutes décidées à partir. L’une avait plus d’argent que les autres et toutes plus que moi, c’est bien à cause de cela que le policier m’a prise rien qu’à moi, elles, je ne les ai pas revues parce qu’elles sont montées dans le train.

Si quelqu’un déjà, est en terre étrangère, et qu’en plus il n’a pas d’amis, vous comprenez, elles sont parties, elles ne m’ont pas attendue, alors qu’elles sont du même coin que moi, là où je vivais au Honduras, et en vérité, je ne sais pas ce qu’elles sont devenues, peut-être qu’elles vont bien, si elles n’ont pas été séquestrées ou si elles n’ont pas fini par là, noyées dans le rio Bravo.

Je me suis armée” de courage et je m’en fus déterminée et voyez-vous, s’il n’y avait pas eu un homme pour m’attraper par les cheveux, je vous dis que je serais tombée sur les voies, il me tira vers le haut et me coinça dans l’échelle. Moi, je tremblais, effrayée voyant ce vol et ces gens qui s’accrochaient comme des désespérés. Cela m’a renversé l’âme de voir tant de mômes seuls, des fillettes de 6 ans qui allaient seulettes.

 

La galère nous tomba dessus après que nous soyons entrée à Tamaulipas, quand le train s’arrêta, des hommes nous attendaient, vêtus de noirs et bien armés avec des pistolets et des machettes, pour dieu, taisez-vous, des policiers et des soldats les accompagnaient, les malheureux étaient de connivence, ils nous ont laissé approcher et nous autres nous avons commencé à sauter des wagons et à partir en courant entre les voies, quelques-uns sont partis vers la montagne, et voyez-vous, de la montagne sortirent encore plus de policiers et de soldats, la vérité est que beaucoup réussirent à s’échapper parce que nous étions des centaines mais à nous autres la malchance nous toucha. Nous sommes restés trois jours sans manger et supportant le soleil et résistant au froid, il a plu un jour entier, nous étions trempés comme des soupes.

Moi, je m’imaginais ce qu’ils allaient nous faire et je pensais à mon bébé, et je me demandais si je le reverrais et que moi, j’allais rester ici, sans personne pour me reconnaître, sans enterrement et si loin de ma maison. Ils ont coupé les mains de beaucoup d’hommes parce qu’ils ne pouvaient pas payer  les cent dollars que les hommes en noirs leur demandaient, ils disaient qu’ils étaient du cartel del Golfo, là voyez, les policiers et les soldats étaient tout excités, et tous frappaient les pommettes des migrants avec les crosses de leurs pistolets, les os tonnaient  quand ils les brisaient.

Ils leurs dirent qu’ils ne nous laisseraient pas partir vivants, mais que ceux qui payeraient ils ne leur toucheraient pas un cheveu et les laisseraient aller, alors qu’à ceux qui ne pouvait payer, ils leur prendraient tout. Ils nous violèrent pareil, hommes et femmes, les hommes, ils les mirent à quatre pattes et leur firent descendre leurs pantalons, ils les obligèrent aussi à sucer leurs engins, les obligèrent à avaler leur semence, et ensuite, ils leur tiraient une balle dans la tête. D’autres, ils les violèrent et à la fin ils leur mettaient un piment coupé en deux au derrière et leur disaient que c’était pour qu’ils n’oublient pas comme était forte la brûlure du piment mexicain. Vous les imaginez, remplissant leurs sacs de piments ? Ce sont des maudits.

auberge des migrants, tenue par le père Heyman Vazquez Medina

Nous, je ne sais pas en vérité, ce qui nous a sauvés, parce qu’ils nous violèrent aussi, j’ai perdu connaissance parce qu’ils étaient nombreux, quand je me suis réveillée, j’étais ensanglantée et il faisait déjà nuit, on m’avait traînée dans la montagne, nous étions plusieurs et nous n’étions pas capables de nous lever, figurez-vous que les femmes du village nous ont aidés parce que, dirent-elles, les autorités ne se mêlent pas de ça et que les pompiers n’aident pas et que les hôpitaux ce qu’ils font quand arrive un migrant, ils le tuent et ils vont l’enterrer comme x ou y dans les fosses pour ne pas subir d’enquête d’aucune sorte.

Des villageoises nous ont aidées et elles nous ont emmenées dans leur maison et là nous attendaient des étudiants en médecine qui collaborent avec elles, à beaucoup de celles d’entre nous qui avaient été violées, ils avaient brisé une partie des os des hanches, les fillettes ne survécurent parce que comme elles ne donnaient pas d’elles-mêmes, ils les défoncèrent.

Voyez, ils ont tué une soixantaine de personne cette nuit-là et les nouvelles n’en dirent rien, aucune autorité ne se mêle de rien. Les habitants du village ce qu’ils firent c’est demander la permission au veilleur du cimetière et ils creusèrent une fosse, et là ils mirent les corps dont beaucoup n’avaient plus de mains, et à d’autres ils manquaient les yeux, certains étaient tranchés en deux, beaucoup avaient une balle dans la tête.

Ils nous emmenées à 5 dans la même maison et les 5, nous nous sommes accrochées les unes aux autres, avec force, vous voyez,  il y avait deux guatémaltèques, une salvadorienne et nous étions deux Honduriennes. Nous sommes restées là, à récupérer, notre famille des Etats-Unis envoya de l’argent pour payer « el coyote » (le passeur) qui nous fit franchir le rio Bravo. Les villageoises elles-mêmes, nous recommandèrent ce passeur, un bon gars, ils ne sont pas tous mauvais, vous savez.

Mur entre le Mexique et les Etats-Unis © Grupo marxista

Mur entre le Mexique et les Etats-Unis
© Grupo marxista

Nous arrivâmes à Brownsville, Texas. Chacune

d’entre nous fut recueillie par ses parents, l’échange se fit dans le parking d’un lavoir dans un centre commercial. Ma tante n’a pas de papiers a cause de cela elle n’avait pas pu venir à la frontière et c’est un ami à elle qui lui fit cette faveur.

Il y a deux que je vis ici au Maryland, je travaille dans un hôtel avec ma tante, nous nettoyons les chambres, personnellement, j’en ai 18 à nettoyer chaque jour, plus 8 salles de bain, de celles qui sont dans les couloirs, je gagne le salaire minimum.

J’aimerais envoyer chercher mon fils mais regardez, ce avec quoi je vis n’est pas suffisant, même si je me déteste de ne pas être avec lui, il est mieux là-bas, je vais travailler ici parce que je veux qu’il aille à l’université et je voudrais construire ma maisonnette, monter un commerce et rentrer chez moi, être ici ce n’est pas une vie, on est comme des esclaves et on ne peut pas sortir parce que la police des migrants est de tous côtés , comme si nous étions des délinquants.

Mes amies m’appellent au téléphone pour me demander des conseils parce qu’elles voudraient prendre la route du Nord, je leur dis de ne pas commettre cette folie au nom de Dieu, qu’ici on souffre trop mais elles ne me croient pas, elles pensent que parce que j’y suis déjà je ne veux pas qu’elles viennent découvrir les Etats-Unis, elles disent que je m’y crois parce que je suis en train de construire la maison de ma grand-mère.

Je ne peux plus dormir bien, j’ai des cauchemars et des insomnies qui me tuent, tout me revient, mais ils me disent que c’est normal et que cela arrive à la majorité de ceux qui viennent sans papiers

Oui, le soir j’étudie l’anglais, je vais à l’école pour adulte, c’est gratuit et il faut que je profite de cette opportunité. Je souhaite avoir des papiers, mais la réforme migratoire, comme le dit ma tante; est une vieille légende.

 

 

Traduction Anne Wolff

Source en espagnol María José (otro relato de Ilka Oliva) – Resumen Latinoamericano

Pour en savoir plus, une série d’articles sur Espoir Chiapas – Esperanza Chiapas d’où viennent les photos.

A lire également

Mexique : des corps vidés d’organes découverts dans plusieurs charniers

 

A réfléchir Solalinde fait remarquer qu’organiser un trafic d’organes demande des complicités dans le corps médical. Maria José nous dit que ceux qui s’adressent à l’hôpital sont tués et jetés dans des fosses, y a-t-il un lien ?

http://les-etats-d-anne.over-blog.com/article-maria-jose-jeune-hondurienne-sur-la-route-de-l-enfer-121108396.html

Bancocratie!

D’un point de vue historique, le New Deal initié par le président Roosevelt en 1933 et les trente années qui ont suivi la 2e guerre mondiale apparaissent comme une parenthèse pendant laquelle la classe dominante a dû faire des concessions, certes limitées mais réelles, aux classes populaires. Les grands patrons ont dû dissimuler quelque peu leur emprise sur l’État. Avec le tournant néolibéral entamé dès la fin des années 1970, ils ont abandonné la discrétion. Les années 1980 mettent sur le devant de la scène une classe dominante complètement désinhibée qui assume et affiche avec cynisme la course au profit et l’exploitation généralisée des peuples et de la nature. La formule, tristement célèbre, de Margaret Thatcher « There is no alternative » marque jusqu’à aujourd’hui le paysage politique, économique et social, à travers des attaques violentes des droits et des conquêtes sociales. Mario Draghi, Angela Merkel, Silvio Berlusconi (grand patron italien), José Manuel Barroso apparaissent comme des figures emblématiques de la poursuite du projet thatchérien. La complicité active des gouvernements socialistes (de Schröder à Hollande en passant par Blair, Brown, Papandreou, Zapatero, Socrates, Letta, Di Rupo et bien d’autres) montre à quel point ils se sont insérés dans la logique du système capitaliste, à quel point ils font partie du système tout comme Barack Obama de l’autre côté de l’Atlantique. Comme l’a affirmé le milliardaire américain Warren Buffett : « C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner ».

Le système de la dette publique tel qu’il fonctionne dans le capitalisme constitue un mécanisme permanent de transfert de richesses produites par le peuple vers la classe capitaliste. Ce mécanisme s’est renforcé avec la crise commencée en 2007-2008 car les pertes et les dettes des banques privées ont été transformées en dettes publiques. Sur une très vaste échelle, les gouvernements ont socialisé les pertes des banques afin qu’elles puissent continuer à faire des bénéfices qu’elles redistribuent à leurs propriétaires capitalistes.

Les gouvernants sont les alliés directs des grandes banques et mettent à leur service les pouvoirs et les deniers publics. Il y a un va et vient permanent entre les grandes banques et les gouvernements. Le nombre de ministres des Finances et de l’Économie, ou de premiers ministres, qui proviennent directement des grandes banques ou qui y vont quand ils quittent le gouvernement ne cesse d’augmenter depuis 2008.

Le métier de la banque est trop essentiel à l’économie pour être laissé dans les mains du secteur privé, il est nécessaire de socialiser le secteur bancaire (ce qui implique son expropriation) et de le placer sous contrôle citoyen (des salariés des banques, des clients, des associations et des représentants des acteurs publics locaux), car il doit être soumis aux règles d’un service public 3et les revenus que son activité génère doivent être utilisés pour le bien commun.

La dette publique contractée pour sauver les banques est définitivement illégitime et doit être répudiée. Un audit citoyen doit déterminer les autres dettes illégitimes ou/et illégales et permettre une mobilisation telle qu’une alternative anticapitaliste puisse prendre forme.

La socialisation des banques et l’annulation/répudiation des dettes illégitimes doivent s’inscrire dans un programme plus large 4.

Comme pendant la république de Venise, aujourd’hui dans l’Union européenne et dans la majorité des pays les plus industrialisés de la planète, l’État est en osmose avec la grande banque privée et rembourse docilement la dette publique. Le non remboursement de la dette illégitime, la socialisation de la banque ainsi que d’autres mesures vitales seront le résultat de l’irruption du peuple comme acteur de sa propre histoire. Il s’agira de mettre en place, sous un contrôle populaire actif, un gouvernement aussi fidèle aux opprimés que les gouvernements de Merkel et de Hollande le sont aux grandes entreprises privées. Un tel gouvernement du peuple devra faire des incursions dans la sacro sainte grande propriété privée pour développer les biens communs tout en respectant les limites de la nature. Ce gouvernement devra également réaliser une rupture radicale avec l’État capitaliste et éradiquer toutes les formes d’oppression. Une authentique révolution est nécessaire.

Eric Toussaint

Extrait de :

Bancocratie : de la république de Venise à Mario Draghi et Goldman Sachs

Gens dans les nuages, Le Clézio

par Argoul

le-clezio-gens-des-nuages.1228990157.jpgAutant ‘L’Africain’ était retour à l’enfance de Jean, Marie, Gustave, autant ‘Gens des nuages’ remonte aux origines familiales de sa femme, Jemia. Ce livre de voyage, paru initialement chez Stock, est le « compte-rendu d’un retour aux origines ». L’auteur a épousé une fille du désert, descendante de ces ‘gens des nuages’ qui cherchent l’eau pour leurs troupeaux, quelque part dans l’extrême sud marocain. Le voyage du couple est un périple à remonter le temps : d’abord celui de la tribu des Ouled Khalifa, d’où vient Jemia ; ensuite celui des origines de la civilisation, dans cette vallée saharienne où l’eau et le vent ont formé un creuset de rencontres humaines.

Les étapes initiatiques de ce petit livre de 150 pages, illustré de 16 photos couleur des lieux qui donnent vie au texte et supportent l’imagination, sont un délice pour qui aime les voyages mais préfère rester au coin de sa cheminée, un chat sur les genoux et un verre à proximité. Cela commence par un passage, celui du Draa, pour culminer au Tombeau du saint, créateur de tribus, avant de se poursuivre jusqu’à la Voie – celle de l’éternité. Six chapitres précédés d’un prologue et suivis d’un épilogue, six étapes d’un approfondissement de soi.

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« Il n’y a pas de plus grande émotion que d’entrer dans le désert » p.37 L’auteur en a écrit tout un livre, qui l’a rendu accessoirement célèbre, dans les années 80. Il s’est inspiré de l’histoire de sa femme, des légendes racontées par la grand-mère, des récits des voyageurs français, espagnols et anglais du temps. C’est par le plateau de Gadda, dans l’ex Rio de Oro au sud du Maroc, que le couple pénètre le désert « sans fin, monotone, presque sépulcral, d’une beauté hors de la mesure humaine » p.38. L’impression est d’être « près du socle du monde », au ras de la roche ferrique qui forme le cœur de la planète, envahi sans limites par la lumière du soleil.

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Le socle est aussi la matrice : « les grandes civilisations qui ont éclairé le monde ne sont pas nées au paradis. Elles sont apparues dans les régions les plus inhospitalières de la planète, sous les climats les plus difficiles (…) Ce ne sont donc pas les hommes qui ont inventé ces civilisations. Ce sont plutôt les lieux, comme si, par l’adversité, ils obligeaient ces créatures fragiles et facilement effrayées à construire leurs demeures » p.56. La Saguia el Hamra est l’un de ces lieux, « une coupure dans le désert ». L’auteur rêvait enfant sur les livres d’aventure, de la fiction d’H.G. Wells aux récits de René Caillé et aux reportages du ‘Journal des voyages’. « Quand il avait treize ans, à la suite d’un voyage au Maroc, encore sous protectorat français [probablement en 1961], il avait écrit une sorte de roman d’aventures dans lequel un cheikh vêtu de blanc, venu du désert, se battait farouchement contre les Français et, vaincu par le nombre, retournait vers le Sud, vers un pays mystérieux où s’étaient regroupés les nomades insoumis. Ce pays était la Saguia el Hamra, le dernier lieu inaccessible… » p.58 Jean, Marie, Gustave parle de lui à 13 ans à la troisième personne. Il avait déjà en prototype, à cet âge pubertaire, le Roman de son succès, la prescience de sa seconde épouse. « Il se pourrait que le devenir des hommes, fait d’injustice et de violence, ait moins de réalité que la mémoire des lieux, sculptée par l’eau et par le vent » p.69.arabe.1228990169.jpg

Le moment culminant du périple est le tombeau de Sidi Ahmed el Aroussi entouré des sept Saints. Sidi Ahmed fédéra les nomades pour en faire un peuple d’équilibre vivant de peu, « entre la parole divine et la justice humaine. Et l’amour de l’eau et de l’espace, le goût du mouvement, le culte de l’amitié, l’honneur et la générosité. N’ayant pour seuls biens que leurs troupeaux » p.74 Un idéal d’homme leclézien. « La seule réussite des Arabes fut de donner une cohérence mystique à des peuples entre lesquels le fabuleux était l’unique ciment » p.72 C’est de la lumière du soleil et des étoiles que vient la force, c’est du désert que vient la sobriété, l’obstination, la patience, « apprendre à vaincre sa peur, sa douleur, son égoïsme »« Mais ce sont les yeux des enfants qui sont les vrais trésors du désert. Des yeux brillants, clairs comme l’ambre, ou couleur d’anthracite dans des visages de cuivre sombre. Eclatants aussi leurs sourires, avec ces incisives hautes, une denture capable de déchirer la chair coriace accrochée aux os des vieilles chèvres » p.95 p.97 Une beauté de diamant, une joie de source, une opiniâtreté à la mesure de la vitalité exigée du désert : Le Clézio raccourcit en une phrase toute l’admiration qu’il a pour cet animal humain en sa force première.

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Il retrouve en cela l’élan des philosophes des Lumières, qui pensaient retrouver le socle humain dans le Sauvage, que la sentimentalité du temps croyait « bon ». Et cela à la suite de Tacite, qui voyait dans les Germains des forêts outre-Rhin ces humains vigoureux et sains qui donnaient un exemple moral aux Romains de la décadence. Après les Grecs, qui définissaient leur idéal d’homme par rapport aux borborygmes et à l’efféminé des « barbares ». « Les femmes du Sahara donnent tout. Elles transmettent aux enfants la leçon du désert, qui n’admet pas l’irrespect ni l’anarchie ; mais la fidélité au lieu, la magie, les prières, les soins, l’endurance, l’échange » p.104. Le Clézio se veut de ce genre d’homme, socle de l’humaine humanité au-delà des ethnies. Ce pour quoi il touche à l’universel.

Tbeïla, le Rocher secret perdu dans le désert, est un lieu de légende pieuse. « C’est ici que Sidi Ahmed el Aroussi a touché terre après avoir été transporté dans les airs depuis Tunis, ou Marrakech, par un génie » p.114 Le lieu est de pèlerinage, un monument naturel incongru au milieu de la plaine. « Quand on arrive au sommet du Rocher, il s’agit bien d’une émergence. Tout d’un coup, on est frappé par le vent et la lumière, suffoqué, aveuglé comme un oiseau sorti d’une grotte » p.122 L’auteur parle bien de cet éblouissement des sens qui prépare à la foi. « Ici, nous avons tout à apprendre » p.126. La vie même de Sidi Ahmed est celle d’un proche de Dieu, maître du soufisme. « Ce n’est pas par les armes que les maîtres soufis luttent contre le mal, c’est par la puissance de leur verbe, par l’exemple de leur pureté, par la force de leur sacrifice » p.139 Le Clézio retrouve au désert la nudité et le silence « où, parce qu’il n’y a rien qui vienne troubler les sens, l’homme peut se sentir plus près de Dieu (comme le sera Charles de Foucauld dans le Hoggar) » p.139. Je l’ai ressenti aussi, face aux rocs rouges de l’Assekrem .

D’où cette leçon tirée du voyage : « Ce qui caractérise la vie des nomades, ce n’est pas la dureté ni le dénuement, mais l’harmonie. C’est leur connaissance et leur maîtrise de la terre qui les porte, c’est-à-dire l’estimation exacte de leur propres limites » p.147. Toute une morale pour les Occidentaux humanistes et vaguement écologistes qui veulent changer le monde. Un idéal parfois bien mal incarné, mais chez Le Clézio une belle leçon d’observation humaine !

Un petit livre à lire en complément de ‘Désert’, si vous avez aimé.

Le Clézio, J.M.G. & Jemia, Gens des nuages , photographies de Bruno Barbey, 1997, Folio 2008, 151 pages, 5.7€
Le Clézio, Désert chroniqué  dans fugues
Et plongez vous dans le voyage avec Fugues au Sahara

Toutes les autres chroniques des livres de Le Clézio sur Fugues sont en liens à la fin de la note « Hommage à Jean Marie Gustave »

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