Archives quotidiennes : 27-novembre-2011

Merde! Je bande…

Le bonheur supprime la vieillesse.
Kafka

Synopsis

Depuis qu’il est veuf et retraité, Émile ne s’est jamais posé beaucoup de questions. Ses journées se suivent et se ressemblent inlassablement. Son seul réconfort apparaît lors des parties de pêche en compagnie de son camarade Edmond. À la mort de ce dernier, Émile doit apprendre à exister de nouveau. Pour y arriver, il décide de se rapprocher de son fils et de tisser une relation amoureuse avec une connaissance de son défunt ami. Un désir ardent apparaît au tournant : celui de revisiter les terres de son enfance, seulement pour voir les changements qui y sont survenus.  Cinoche

Les « nouvelles-coquerelles »

C’est un film  d’un délice incommensurable, indéfinissable. Ils sont vieux, flétris, cabossés, ancrés dans leurs vieilles habitudes. Émile est mort avant d’être mort… C’est l’envers des sociétés qui bâtissent des parkings à vieux. Il n’y a pas de mondialisation, de Libye, de massacres, de nouvelles qui entrent par nos téléviseurs, coquerelles des  malheurs des cités comme Montréal, dont le béton nous tombe dessues par les impôts, par le martellement des problèmes que nos héritons.   Et ces colonnes de chiffres, ces futurs enfermés dans les banques. Rien de tout cela.

Un village.

Quelques amis qui passent et repassent.

On picole, on joue, on danse.

Émile part en voyage dans son auto qui ne passerait pas les tests de la SAAQ. Règlementations obliges. On s’ennuie de la liberté de planter un arbre où l’on veut, de conduire une bagnole dangereuse. De fumer un « pétard », de fêter avec des jeunes…

Émile lance ses pilules dans la rivière.

Du soleil, des fleurs, des femmes, de petites habitudes. Le film est comme une éternité dans la grandeur des petits gestes. Comme une éternité dans le quotidien où les montres cessent de fonctionner. Le temps est aux ruisseaux qui coulent comme ceux qui coulent dans les âmes juteuses de l’amour de la vie et de l’amour tout court.

La beauté n’est pas dans les œuvres de l’ami d’Émile qui peint comme enfant ses nues en ajoutant de la laine aux parties génitales pour… faire plus vrai.

Que les amoureux s’embrassent, ridés, froissés par la vie, peu importe : l’âme a ses coups de chaleur encore.

On dirait un roman de Simenon, sans crachin.

Le malheur est un abandon…

Le bonheur est de continuer de vivre avec passion. Il n’y a pas d’autres moyens pour être heureux. De délaisser l’apitoiement sur cet avenir… Comme si on vous avait vendu l’idée qu’il n’y a plus rien.

Quand Émile dit : «  Merde! Je bande … »

C’est simplement avouer qu’il avait renoncé… Et prendre conscience qu’il y a encore un beau grand feu, oublié.

Revisiter sa jeunesse pour se rappeler que la vie est une aventure.

Changement de fréquence 6

Autoguérison  par les sons et la musique

Les médecines alternatives ont parfois mauvaise presse. Beaucoup de gens vont chez le thérapeute une fois et imaginent qu’ils en sortiront guéris. Les miracles ne courent pas les rues et personne ne guérit avant d’être prêt. Inverser le processus prend du temps car cela exige de profonds changements intérieurs. On met du temps à se rendre malade et souvent il en faut autant pour guérir. Et peut-être que nous ne guérirons pas non plus. C’est correct aussi. Personne n’a le même agenda.

La médecine traditionnelle ne nous guérit pas plus que la médecine alternative; on nous bourre de médicaments, on nous enlève des morceaux, etc. Or, les gens ont une confiance aveugle dans le système – les dieux de la médecine sont considérés infaillibles. Pourtant, nous servons de cobayes, exactement comme en médecine alternative. Je ne conteste pas l’utilité de la médecine dure, loin de là, mais je pense qu’il serait plus que temps d’au moins combiner médecine dure et médecine douce.

Le langage phobique des «experts» (traditionnels ou alternatifs) en santé, nutrition, etc., nous disent : «si vous suivez nos directives, votre état s’améliorera, nous avons passé des années à mettre au point ces directives et nous savons ce qu’elles peuvent faire pour vous.» Ce qui comporte du vrai. Mais cela sous-entend aussi que si nous ne faisons pas à la lettre ce que le praticien prescrit nous n’améliorerons pas notre état. La personne en crise est vulnérable et risque d’avoir peur, de perdre son discernement et d’accepter n’importe quel traitement.

Nous avons tout ce qu’il faut à l’intérieur de nous pour faire des choix éclairés. Si nous nous donnons la peine de nous écouter, nous savons ce qui est bon pour nous et ce qui ne l’est pas – que ce soit traditionnel ou alternatif. Il est très important de développer cette écoute intérieure pour retrouver notre pouvoir sur nous-mêmes. La vie physique implique de nombreux défis, mais je reste convaincue que nous naissons avec l’équipement nécessaire pour y faire face.

Je vous encourage donc, comme d’habitude, à suivre votre intuition et à rejeter tout ce qui sonne faux pour vous. Chacun doit respecter ses croyances, sa vérité du moment. Il faut se rappeler que tous les systèmes de croyances (individuels et collectifs) sont des vérités temporaires; on ne s’en aperçoit que lorsqu’on accède à des vérités plus vastes.

S’harmoniser…

Utiliser des sons pour guérir le corps, c’est comme accorder un instrument de musique. L’expression vocale (chanter ou même siffler) et l’écoute de sons particuliers ou certaines musiques peuvent aider à nous accorder.

L’écoute active (chanter ou jouer soi-même d’un instrument) et l’écoute passive (écouter quelqu’un d’autre chanter ou jouer) peuvent nous renseigner sur la manière dont le son, le bruit et la musique affectent nos états d’âme et notre corps.

Le docteur Mitchell L. Gaynor, oncologue, chercheur et auteur de Sounds of Healing: A Physician Reveals the Therapeutic Power of Sound, Voice and Music (1999), disait à propos du son :

«Si nous acceptons que le son est une vibration et que les vibrations touchent chaque partie de notre être physique, alors nous comprenons que le son ne passe pas uniquement à travers nos oreilles mais qu’il voyage à travers chacune des cellules de notre corps. L’une des raisons pour lesquelles le son peut guérir au plan physique, c’est qu’il nous touche et transforme profondément tous les niveaux de notre être. Le son peut corriger des déséquilibres du fonctionnement physiologique et jouer un rôle positif dans n’importe quel traitement ou problème médical car il établit une connexion entre tous les niveaux de notre être. 
      (…) Les résultats obtenus chez les patients, ainsi que que mes propres expériences avec les bols en cristal de quartz, confirment l’hypothèse que les harmoniques qu’ils émettent possèdent des propriétés de résonance et de guérison hors du commun. Les bols émettent des tonalités en accord avec la voix humaine. Les sons pénètrent tous nos systèmes, s’accordent à notre essence, de sorte que la dissonance et le chaos intérieurs se transforment en harmonie presque immédiatement.»

Notre corps fonctionne en vertu de l’énergie subtile qui y circule. Comme pour l’électricité, s’il y a des pannes de courant à certains endroits, le corps est privé d’énergie ici et là. L’énergie circule dans nos différents organes et systèmes physiques à travers sept principaux vortex (chakras). Chacun de ces vortex est couplé à une note de musique spécifique. Par exemple, la note FA correspond à la zone cardiaque. Elle affecte le cœur et le thymus, la poitrine, la circulation, et par extension, les poumons, les bras, les mains. La zone cœur/poumons (4e chakra) est associée à la sphère de l’amour, de la compassion et du service à l’humanité. (Si les corps d’énergie subtile ne vous sont pas familiers voyez Air Karma, La robotique humaine)

Les sons utilisés en guérison peuvent réduire l’activité cérébrale, ralentir la respiration et le rythme cardiaque. En Biofeedback on mesure le rythme cardio-respiratoire – la pulsion cardiaque augmente à l’inspiration et diminue à l’expiration. Ce processus est appelé synchronisme cardio-respiratoire. Les recherches ont démontré que lorsque la respiration et la pulsion cardiaque sont synchronisées, cela crée une fréquence de résonance dans le corps, semblable à celle produite durant une session d’écoute de sons provenant de bols de cristal. Cette fréquence est extrêmement bénéfique pour le cœur. Le stress, les douleurs et autres désagréments peuvent être facilement réduits selon notre capacité d’atteindre et de maintenir cette synchronisation cardio-respiratoire.

Le sujet de l’autoguérison par le son est extrêmement vaste. Voici néanmoins quelques notions qui pourront guider vos propres recherches (vous en trouverez d’autres dans «Réactions à la musique», Changement de fréquence 7, 8, 9 et «Pollution sonore»). Vous pouvez trouver des comptes-rendus de recherche complets à propos de ce qui suit sur Internet.

Corrélation corps et son

D’après Fabien Maman, un compositeur français, acupuncteur et bio-énergiste, chaque individu porte une fréquence vibratoire unique. Cette fréquence, qu’il nomme «son fondamental», peut se vérifier au microscope. Il croit également que certains types de musique ont des effets différents sur l’esprit et le corps dépendant de l’heure du jour ou de la saison où on les écoute. Si cela est vrai, nous devons développer notre sensibilité aux messages que l’esprit et le corps nous transmettent.

Les plantes et les animaux ne mentent pas

En 1973, dans leur livre «La vie secrète des plantes», Peter Tompkins et Christopher Bird ont consacré un chapitre aux effets de la musique sur les plantes. Entre 1950 et 1960 ils avaient mené plusieurs expériences aux États-Unis et au Canada. Celles-ci démontraient que les plantes croissaient plus rapidement lorsqu’on faisait jouer du Bach, du Gershwin ou certaines fréquences sonores. Par contre elles dépérissaient lorsqu’on leur faisait «entendre» du hard rock.

En 1978, le biologiste et professeur de musique Francis Broman et la cantatrice Dorothy Retallack ont voulu pousser les recherches. Ils ont installé des courges d’été dans deux cages différentes. Dans l’une des cages, un poste de radio diffusait de la musique classique, et dans l’autre, du rock. Les courges exposées à la musique de Haydn, Beethoven, Brahms, Schubert et d’autres musiciens du dix-huitième et  dix-neuvième siècle croissaient en s’inclinant vers la source de musique, certaines s’enroulaient même autour du poste de radio. Les courges de la cage où l’on jouait du rock croissaient dans la direction opposée au poste et grimpaient même sur le grillage comme pour s’échapper de la cage.

Plus tard, Dorothy Retallack a répété l’expérience avec du maïs, des pétunias, des zinnias et des œillets, toujours avec des résultats similaires. Elle a également noté que les tiges de certaines plantes exposées au rock poussaient croche et requerraient plus d’eau. L’eau absorbe les énergies négatives. De plus, les racines des plantes exposées au rock étaient plus courtes que celles exposées à la musique classique qui étaient quatre fois plus grosses et plus longues.

La réplique de certains scientifiques de l’époque fut : «Les plantes n’ont pas d’oreilles.»

Ben oui, on le savait ça… Les plantes ne ressentent pas d’émotions, mais étant donné que tout carbure aux vibrations de l’énergie ambiante, il ne faut pas s’étonner qu’elles y réagissent et se défendent contre les agressions. Au début des années 2000, un entomologiste de l’Université de Californie, Richard Karban, a pratiqué des incisions sur des feuilles de sauge pour imiter la morsure d’insectes brouteurs. Résultat : si le vent poussait les enzymes défensifs vers eux, les plants de sauge des environs immédiats se mettaient à en produire eux aussi.

Le chercheur David Merrell ayant fait écouter du hard rock à ses souris disait : «Je n’ai pas pu continuer la recherche parce que les souris exposées au hard rock s’entretuaient. » (!)

Nous n’avons pas besoin de tester sur des animaux pour comprendre le phénomène, il suffit de reproduire ces tests sur nous-mêmes. Si nous sommes vraiment attentifs aux réactions du corps, nous remarquons qu’il essaie constamment de compenser l’exposition aux sons disharmonieux, aux bruits discordants, et qu’il lutte contre ce chaos.

Le corps ne ment pas

Le docteur John Diamond a fait de nombreuses recherches sur les effets physiologiques de la musique qu’il a publiées, entre autres, dans son bouquin Your Body doesn’t Lie (Votre corps ne ment pas) http://www.drjohndiamond.com/ – un site extrêmement inspirant axé sur toutes les formes d’expression de la créativité en tant que sources de guérison. Son dernier livre (2011) est disponible en e-book : The Pulse of Music – pour une compréhension profonde du pouvoir de la musique et de sa capacité d’améliorer notre vie; un essentiel si le sujet vous intéresse, que vous soyez musicien, éducateur, professionnel de la santé ou amateur de musique.

John Diamond disait, entre autres, que plus le rock métal est dur, plus il affaiblit le corps. La plupart des gens ne s’en rendent même pas compte. Ils ont au contraire l’impression d’être «énergisés» par ces musiques qui procurent un faux sentiment de pouvoir, au même titre que la vitesse et la rage au volant.

Le malheur c’est qu’on est parfois obligé d’en écouter lorsqu’on attend à un feu de circulation en ville. Da, da, dumb, da, da, dumb. Ce rythme syncopé utilisé dans le rock métal provoque un stress inconscient. Étant donné qu’il est contre-nature, il produit de l’inconfort. Le beat syncopé inverse l’harmonie naturelle de la mesure à trois temps, et conséquemment, il déstabilise. (Dans la mesure à trois temps, utilisée pour la valse par exemple, on met l’accent sur le premier temps : un, deux, trois, un, deux, trois.)

La musique peut donc adoucir les mœurs mais aussi les barbariser… Beaucoup de médecins déconseillent l’écoute du hard rock (au concert ou en voiture) car selon les statistiques, cela provoque chez plusieurs des problèmes pulmonaires pouvant déboucher sur un pneumothorax. Sans parler de l’apparition d’acouphènes chez certains auditeurs après un concert rock métal.

Mestengo, Situation Planétaire

Alain Bésil, écrivain. Le mystère du lac Pohénégamook. (extrait, chapitre 2)

L’achat du motorisé

La logique elle-même devient inefficace, puisqu’elle est
logique de l’inanité. Elle n’est, dans plupart des cas, qu’un
mécanisme tournant à vide dans ce labyrinthe à mirages qu’est
tout cerveau humain. Seule l’ignorance jointe au silence, trace
la voie royale de la libération.
La Cendre et les Étoiles

Jacques Lacarrière

That itself is a poisonous twentieth-century attitude. When
you want to worry something, that means you no longer care
about it and want to get on other things.
Zen and the Art of  Motorcyle Maintenance
Robert M. Pirsig

 

C’était par un bel après-midi de mars, pendant que l’hiver s’en allait à compte-gouttes, avalée lentement par le sol. Les égouts biberonnaient cet eau sale, comme s’ils avaient vécu trop longuement dans un désert de lumière. Blanc là, gris ici, noir de plaques, poivrées entre les bancs de neige et les touffes vertes dissipées en talles. On aurait dit une toile en construction d’un peintre qui avait entrepris le grand tableau de l’été. La Joconde de nos âmes. Le sourire insidieux qui nous traquait. Le mystère…Le grand mystère du réveil… Les Incas avaient sans doute raison d’adorer le soleil. C’est le Tintin de l’âme. La soif de lumière, la faim insaisissable de l’étincelle qui nous habite. Comme le tison qui a donné à l’homme la découverte du feu.
LE soleil, d’une rondeur parfaite, mitraillait de ses rayons cette terre confuse, fluctuant entre une saison et l’autre.
C’était la vie, rien que la vie. En tout, tout, tout, ce qu’elle contenait. Les oiseaux jouaient un air béni, ensemençant d’une canzone tapageuse l’air et le ciel.
C’est là que nous rencontrâmes notre vendeur.
Nous étions en face d’un occidental aux yeux crasseux et à la mèche de chevelure pâteuse, mais aux dents blanches comme un évier de PDG. Il est facile de distinguer un occidental vivant dans un pays riche : plus il est vieux, plus ses dents sont blanches. Des dents de bébé dans un contour de bouche déjà cernée de plis Je voyais cela c’est comme un cheveu dans la soupe d’un menuisier sans chat.
– C’était vous le type qui a écrit La dernière guerre mondiale.
– Oui. Comment le savez-vous?
– Je suis un fervent de votre œuvre.
-Vous lisez et vous vendez des autos?
-Vous conduisez et vous écrivez?
– Ouai! Fis-je, béat.
– Nous cherchons…
– Oui, je sais, un motorisé…Trancha-t-il.
Puis il ajouta :
– Et pas trop gros, n’est-ce pas?
– Exactement. Un usagé si possible… Pour éteindre un peu -excusez-la, cette industrie : Un homme, une bagnole.

– Je ne sais pas si je peux me permettre une remarque…

– Allez-y

– Vous ressemblez à Marie-France Bazzo.

Je me suis tourné vers Éva. Il avait raison, qu’elle avait un petit quelque chose de Madame Marie-France : grande, bien charpentée, coquine, charmante, intelligente. Une féline à talon haut… Une sorte de Michelle Obama… Mais rousse…
– Ah! Je vous le concède. Vous avez l’œil…
Il nous pointa du doigt un véhicule alluré, de dimensions modestes, assez espacé toutefois pour contenir deux habitants, deux ordinateurs, et un espace entre vos êtres,… J’aimais cette phrase de Gibran.
-Qui était donc l’ancien propriétaire.
-Il est plus qu’ancien, il est décédé.
-Je vois qu’il y a une guitare de peinte sur la porte.
-Oui, on peut l’effacer si vous le voulez.
– Non, j’aimerais la garder pour conserver une parcelle d’âme de ce propriétaire. Combien pour le véhicule?
-7,895$

– Qu’est-ce que la dame a à dire sur le véhicule? Dit le vendeur, en souriant.
-Je vous présente Éva Vitanski, Dr en…Anthropologie, Dr en médecine également… Un passe-temps…
– Comme moi, les carcasses ne l’intéressent pas. Blagua-t-il
– Tout à fait!
Il lui tendit une main moite et exémateuse. Au même moment, une mouette passa dans le ciel battant des ailes, comme pour applaudir le conseiller.

Éva enleva ses lunettes teintées et regarda l’homme droit dans les yeux.
– Il y a un problème? Le prix est bien bas pour un tel véhicule.
Il parut embarrassé.
– C’est vrai! Je dois dire que plusieurs clients l’ont ramené, mais il n’y a jamais eu de problèmes mécaniques. Jamais nous en avons connu la raison . Puis il ajouta :
– Ils affirment que la radio ne capte que des airs country.
– Pardon?
Les cils d’Éva prirent le l’amplitude.
– Oui, vous avez bien compris. Ils n’arriveraient pas à régler la radio sur d’autres postes. Ce qui me semble bien mineur comme problème…
– Auriez-vous une licence en droit?
Il me regarda, médusé.
– Pourquoi me demandez-vous cela?
– Vous parlez toujours au conditionnel.
– C’est mon patron qui est avocat. Il m’a fait suivre une formation dudit emploi. J’ai passé trente heures avec lui.
– C’est un véhicule hanté? Demandais-je, taquin.
Nous avons éclaté de rire en chœur. J’en avais les larmes aux yeux, Éva esquissait un narquois sourire, quasiment froid.
Puis elle me décocha une œillade émerillonnée.
« Un véhicule hanté! C’est ridicule!»

L’affaire du siècle!
Nous en étions convaincus
***
Nous nous mîmes en route vers Pohénégamook.

Une chaleur accablante colonisait la cabine. Nous roulions en piétinant les ombres brimbalantes en même temps que les pans de lumière sur l’asphalte gris. Éva barytonnait des airs d’opéra. Éva chantait, mais d’une contorsion qui m’assommait: raidie du thorax, dans une pause empesée, elle catapultait son chapelet de notes, le bec en tuyère de fusée.
Pour alléger l’atmosphère je lui suggérai de chercher un poste à la radio.
Elle comprenait mon agacement mais s’en moquait éperdument. Éva était un être fort, têtu. Ce la l’amusait que je la critique. Cela l’égayait que je puisse me moquer d’elle.

Elle appuya sur les touches.

Nous nous sommes regardés: les seuls postes étaient des postes de musique country. Quand je visais les rétroviseurs en forme de guitare, je ne pouvais m’empêcher de penser au vendeur. Quand je regardais la route, j’avais toujours dans ma vue ce cheval argenté flanqué sur le capot. J’avais l’impression de galoper au lieu de rouler. Et le cheval, qui paraissait avoir été mal vissé, oscillait de la tête à chaque fêlure de l’asphalte.
– On dirait que c’est vrai que le véhicule est hanté. Dit Éva.
– Voyons! C’est une légende …campagnarde. Je suppose que nous sommes à l’heure émissions de musique western.
– Je suis sceptique…
***
Un trajet sinueux dans une forêt sans fin. Des sapins agenouillés par la force des vents, des trembles rachitiques, brûlés par les passages des fardiers rustauds. Tout cela dans un jeu d’ombres et de lumières qui passait.

Je me souvenais d’une halte routière, en plein milieu du trajet, et nous décidâmes d’y passer la nuit afin de profiter de notre nouveau jouet.
***
Les saucisses braisaient pendant ma lecture. Les crépitements, les volutes noires qui semblaient vouloir rejoindre le ciel… Tous ces éléments, mêlés aux odeurs fortes et rances me bouleversaient, sans que j’en connaisse la raison.
Je levai mon livre pour vérifier la cuisson : elles étaient comme nous, ces saucisses, terminant leur cycle de cuisson dans une vieillesse prématurée, se ridant, se tortillant, pour livrer le produit d’une délectation finale. Mais quel était donc ce but? Notre plaisir du palais?
Nous nourrir?
Je savais sciemment que le but de leur vie serait bientôt atteint. Je restai un moment figé, emmuré dans cette vision universelle, percevant toute la chaîne alimentaire de la chair à l’esprit, de l’esprit à l’âme. La saucisse comme un Christ s’offrant à nous… Taurobolique, rougeâtre…C’était l’hostie américaine : le travail acharné d’un mélange de tueries et de fourberies chimiques, ces leurres de palais de la cuisine rapide.
Je fis la lecture des ingrédients et cela ne me rassura guère.
Il en est qui ont leur madeleine, d’autres leur saucisse. Cet instant, reclus, fit jaillir en moi toutes une série de pensées et de préoccupations.
Je voyais Jeanne D’Arc au feu…Braisillant sous le plaisir de la foule. Crispée, torsadée, boucanée, déshydratée sous de longues langues de feu. Tout cela à cause de la folie des hommes. La foule devait crier, hurler, scander. On tue dans le plaisir, parfois. On tue par peur des fantômes. On tue pour tuer nos peurs.
J’essayais d’interrompre ce déchaînement de pensées. Mais je me disais que je réfléchissais…Or, j’étais la victime d’un flot involontaire de d’élucubrations de mon cerveau qui bouillait, fermentant et transformant ces parcelles en un amas en apparence solide. Car, en fait, nous sommes pensés . Si nous ne détruisons pas ce mouvement ingouvernable, nous sommes tous victimes de cette effervescence.
Je me suis alors dit que la connaissance était irréversible.
Ma vie, nos vies, étaient en quelque sorte détruites. Ruinées cet amassement de connaissances, cette manie de scalpeliser notre existence.
Et plus nous nous livrions à ce supposé savoir, plus nous nous enfoncions dans le malheur : nous étions condamnés, désormais, à vivre avec ce poison.
C’est à partir de ce jour-là que j’ai cessé de lire les journaux : c’était probablement la forme la plus virulente de pollution. Quand l’esprit est pollué, on ne peut pas sauver sa carcasse en sirotant des Oméga-3. Le naturel était devenu chimique. Et les journaux étaient remplis de crétins qui répétaient simiesquement leur petit savoir de copier-collé trafiqué.
Au moment de manger, je pris la saucisse, la glissai dans le pain moitié blanc – sorte d’Obama – déjà vendu sous l’étiquette Le Choix du Pésident, et je l’étudiai. J’étais affolé. Affolé et railleur. Car je voyais nos ancêtres affrontant un ours, je me trouvais ridicule, jocrissement débile :
– Éva, j’ai peur de la saucisse.
Je savais qu’on ne pouvait tuer quelque chose de mort.
Il me fallait trouver ce qui me tuait.

-Éva. Repris-je
– Oui.
– C’est quoi la pensée?
– C’est faire le tri dans une coulée de lave.
Je n’ai rien ajouté. Éva avait le sens du raccourci.

***
Neuf heures.
Le feu de camp crépitait, les braises se tricotant aux étoiles, ces cendres du ciel.
Le tison a toujours été pour moi une sorte de représentation de l’univers : un tison naissait, s’allégeant comme une âme s’envolant dans le ciel, s’atténuant de leur lumière pour défier l’organe que sont nos yeux. Mais ils étaient toujours vivants, invisibles, retombant lentement pour s’affaisser, telle une plume, rejoignant avec indolence le sol dans le but nourrir les arbres qui naîtraient plus tard. Je voyais là cette éternité à laquelle nous appartenions. La braise dans son essence est une substance solide qui atteint son absolu par consumation extrême, telle la souffrance humaine à son apogée.
– Je m’ennuie, Éva.
– Vous pensez trop.
Elle lisait un roman populaire pour se détendre : Infinitude d’Amour. L »histoire d’un prince arabe monogamique, qui rencontre un jour une itinérante dont il perçoit la richesse d’âme. Il lui achète un centre de désintoxication et la confie à un chirurgien qui lui fait subir une suite de séances hypnotiques afin de lui refaire l’esthétique de son parcours malheureux. À la fin, elle ressemblait à une héroïne des films de Chaplin.
– Intéressant votre livre?
– Assez! Si ce n’était pas moi qui l’avais écrit, je serais tenté de connaître la fin…

10h49.
– Je n’arrive pas à dormir…
C’était comme ça à tous les soirs. Éva souffrait d’insomnie. Après qu’elle eût essayé tous les médicaments, l’idée me vint de retourner en arrière dans l’histoire de l’humanité. Une partie du cerveau a été programmé pour ce moment de paix qu’est le soir. La nuit est une grande et nécessaire paupière. Excité, le cerveau ne peut se rééquilibrer. J’ai fait des conférences sur le sujet : 10,000 ans de sommeil. J’ai eu une offre d’une compagnie pharmaceutique qui m’a dépêché un étudiant en médecine, tout beau, tout propre, si blanc en dehors, qu’un Satan devait se cacher sous cet habit d’homo-cravatus.
La méthode était simple : une bougie. On ne peut pas avoir de la lumière la nuit et dormir.
– Voulez-vous éteindre la machine à grillons, Alain?
Nous avions acheté un CD gravé des chants de grillons, une espèce en voie de disparition mais qui pollue les trames sonores des films. Cependant, pour les veillées nocturnes, on n’a pas fait mieux depuis la Ford-T.
Somnolant, tournai le volume en sens inverse, de sorte que le son se répandit dans la forêt dans un boulevari à déchirer les tympans d’un Charles Prince.
– Pardon!
– La bougie s’est éteinte. Rallumez-là, je souffre d’angoisse. Je suffoque…
-Bien.
– Je t’aime.
– Moi aussi.
J’ai éteint la bougie.
– Ferme tes yeux… C’est comme ça qu’on refait la nuit en soi.
Je passai une main douce sur son ventre agité, essayant de la délivrer de ses peurs.
Car pour les humains, toutes les nuits se résument en une crainte obscure de la mort.
Puis je lui murmurai à l’oreille ce petit virolai.
Near, far, wherever you are
I believe that my heat will go on
J’étais sûr qu’elle coulerait dans un profond sommeil.
Ce ne fut pas le cas.
– Je ne dors pas, Alain. Répliqua-t-elle sèchement.

Il ne restait qu’une solution, la meilleure, l’ultime
***
Comme préliminaires je tirais les fils de son pyjama un a un, jusqu’à ce que mon désir explose au frôlement de sa chair déjà chaude et vibrante. J’y glissai mon doigt comme on appuie sur un bouton rouge. Et mon missile s’enflammait, sans sortir de son repaire souterrain. C’est Éva qui se glissait sous terre pour en retirer l’or blanc qui jaillirait en elle, capable de faire rouler tous les véhicules de son anatomie.
Nous nous enfilâmes sous un drap mince comme un papier de riz. Au plafond une caméra nous filmait, tandis que trois écrans nous renvoyaient notre image. Tout ça sous un chant de vagues de mer et de sable, avec des bougies de sel et de pétrole blanc.
Le bonheur n’existe que dans le désir. Je pense que c’est Spinoza qui a dit cela. Et nous vivions sous ce principe. Nous allongions notre plaisir comme un café allongé.

Il suffisait qu’elle lève les genoux sous ces mini-projecteurs rosacés pour que mon souffle se mette à courir.
Alors nous prenions nos doigts comme des bras canadiens dans cet espace inconnu pour aller fouiner nos espaces.
Nous restions en ces positions le plus longuement possible. Je voyais les montres molles de la toile de Dali. Nos mouvements au ralenti, le jeu des lumières et des écrans faisaient en sorte que nous passions au moins deux heures avant d’éclater. Ce qui signifiait glisser mon membre dans cette cavité qui m’avait donné naissance. En la pénétrant je me demandais toujours, à chaque fois, qui de nous deux était l’œuf ou la poule.
Certains moments devenaient si intenses que nous nous demandions si nos cœur ava ient imprégnés chacune de nos nervures, chaque . On aurait dit un battement de tambours d’une armée qui s’en allait à la guerre contre la mort.
Il arrivait quelquefois que je me laissais aller à cette façon de faire animale qui était d’y aller de mouvement saccadés et fébriles, en perte de contrôle, comme englouti par la force du désir. Mais je signe et persiste que nous y allions dans le mouvement d’une fusion et que nous en pouvions en connaître la fin. Peu il importait. Il importait qu’au moment opportun nous devenions comme deux flammes se fondant en une seule et unique. Une combustion qui nous propulsait en dehors de ce quotidien pâle ou nos corps n’étaient plus nos corps, mais nos âmes retrouvées. Mais cette fusion s’éteignait rarement d’un coup : au contraire, elle s’allongeait comme dans un vol de planeur sous le souffle seul du vent des cabines fissurées, en balancements et tangages, tel un atterrissage, tel un retour sur terre. Mais cette terre n’était jamais la même. Elle était comme retrouvée, toute neuve, refaite. L’herbe du voisin était moins verte que la nôtre. Nous étions roses comme un pâturage au lever du soleil. Pourtant, c’était la nuit.

ZORRO LE POISSON ROUGE

Je craignais de ne pas faire très… normal… Où je ne sais, social? Mais j’avais envie d’une soupe… J’étais en appétit… Enfin, une sorte d’appétit que certains ne peuvent comprendre : la faim de comprendre…

J’ai commandé deux soupes pour le lunch

En avertissant bien la serveuse…que… bon… c’était mon choix. Même si… Bizarre…En apparence…. Que…Enfin! Deux soupes…

-C’est deux fois une…dit-elle.

– Mouais…

Bon pour la santé:  des nouilles, des légumes, des pâtes molles en alphabet, des oignons,  et un bouillon artificiel à base de poulet… et/ou ascorbate de sodium, soja, etc… Pas d’enveloppe, pas de renseignements…

Le bouillon?  Je ne sais pas comment on fait pour imiter un poulet. On chante le matin? Les poulets ont des plumes mais n’écrivent pas… Mais on m’a bien dit que ce n’était pas un vrai bouillon… Ça, je l’avais toujours soupçonné…Plus ça va, plus les bouillons sont des imitations…

J’avais garé la moto dans le l’immense parking du centre commercial.  Puis j’étais entré acheter des petites choses. Rien que pour acheter. C’est comme ça qu’on passe son temps quand on est civilisé et que les besoins primaires son assouvis.

En attendant mes soupes, je  suis allé à «L’animalerie» du centre commercial  et j’ai  acheté  un poisson rouge… On me l’a mis dans un sac.

J’avais l’air de traîner une planète avec un seul habitant…

Quand je suis revenu , la serveuse a pensé que j’étais végétarien… Un genre de greenpeacer échevelé… en dedans… Les neurones frisottées…

J’ai mis le poisson rouge dans la soupe. En fait, je revenais d’un cours de psychosociologie. Je me disais que je pouvais faire une expérience tout en mangeant. Que le poisson se nourrirait en même temps que moi. Je n’allais pas l’avaler… Peut-être des yeux…

Je me suis mis à le scruter. Ça m’a étonné tout se mélange. Surtout que j’avais vu à la télé  ces gens portant des masques. Pas moyen de voir si la chinoise était belle. La Terre était en train de devenir une planète de petits Zorro avec des seringues pour épée… Une épopépée… Je dis n’importe quoi. On a bien du travail, ces temps-ci, quand on veut tracer des zèdes sur tous les méchants. On risque de se tuer au travail…

Ça a l’air cinglé… Et puis ça doit l’être… Mais cette soupe, coulée dans un nid de poule de printemps, riche et généreuse, si diversifiée dans ses éléments, je la voyais comme la réplique d’un contexte social : tout était soudé par l’eau – une eau jaunâtre – mais les ingrédients étaient là.

Avant de manger- ou d’essayer de –  j’avais scrupuleusement  étudié le comportement du poisson.

Je pense qu’il y avait trop de sel dans la soupe… Au début il nageait vite, très vite… Mais il a ralenti : ses artères se sont, on dirait, bouchées…

Il a développé des ulcères, s’est mis à s’interroger sur son avenir et est tombé en amour avec une lettre de l’alphabet qui valsait  dans la soupe. Un Z, je pense… Parfois, on le confondait aux petits morceaux de piment rouge. Mais un piment rouge, ça n’a pas de queue… Ni tête… Et un poisson n’a que ça… Normal qu’il cherche quelque chose de différent…

Au début, on voyait qu’il se sentait comme un poisson dans l’eau.

Au bout d’une demi heure, il est devenu dépressif. Il m’a consulté. Je lui ai conseillé d’essayer de «vivre une vie normale»… Après tout, il était dans son élément… «Repose-toi!». «Va au cinéma»… «Fais du Yoga»… «Tu ne vas pas de mettre aux antidépresseurs  toi aussi?» … « Et tu vas te sentir coupable de ne pas assez nager? Ton rôle c’est de nager…»

Je sais qu’on ne parle pas aux soupes… Rien qu’à voir les yeux de ceux qui m’entouraient, je le voyais bien… Mais on a le droit de faire sa vie, non? Et comprendre c’est quoi? Eux, ils ne le voyaient pas le poisson rouge. Alors pourquoi me jugeaient-ils? Tous les incompris ont leur poisson rouge quelque part, dans leur tête.

Vraiment ça n’allait pas…  Je me suis dit qu’il avait  trop mangé et qu’il s’est empoisonné avec ses excréments, ou je ne sais… Mais il n’avait pas l’air bien… Un poisson rouge  qui fait de la haute pression, c’est rouge, vraiment rouge..

Quand  je suis revenu, le poisson s’était suicidé en se jetant hors de la soupe… Il gisait sur la nappe…  Une nappe blanche, un poisson rouge. On aurait dit une image du film Amélie Poulin…

La serveuse me regardait d’un air étrange. J’étais en train de souffler dans la gueule du poisson pour essayer de le ranimer. Je sais… Je n’avais pas l’air «normal»… Mais on m’avait appris qu’il fallait tout faire pour sauver des vies. Surtout avec le moratoire sur la pêche à  la morue à l’entrée du Saint-Laurent… Plus de pêche, pas de stock… Plus de travail… La vie c’est encore plus compliqué qu’une soupe…

Il ne bougeait plus. J’en ai fait mon deuil.

Les deux soupes étaient encore là.  J’ai soupiré.

Dès le début je savais ce que voulait mon poisson rouge pour sa….fin.. : se  faire incinérer.

Je suis allé chercher de l’essence à fondue sur une table et je l’air arrosé copieusement. Puis j’ai sorti mon briquet… Zut! Tout le monde s’est levé en hurlant : on pensait que j’allais fumer. Ben non! J’ai mis le feu au corps du poisson. Ils se sont rassis, soulagé, comme un pain qui sort du four.

Avant de partir, j’ai donné dix dollars de pourboire  à la serveuse…

J’ai vu qu’elle s’était demandé comment quelqu’un qui n’avait pas mangé sa soupe l’avait autant appréciée… J’ai aussi vu qu’elle avait peur que je meure de faim… L’autre soupe, un peu refroidie, reposait sur la table.

C’est tout simplement qu’elle n’avait pas deviné  quelle nourriture je cherchais…

Pourtant, je suis sorti le ventre plein…

Mais en sortant, le serveur m’a regardé avec des yeux de poisson pourri. Un serveur qui n’est même pas branché à l’internet…

En fait, il a fait une crise cardiaque devant moi… Pas beau à voir…

J’ai passé mon tour pour la respiration artificielle : je ne porte jamais de masque… Surtout qu’il se nommait Roger. Je me méfie de quelqu’un qui s’appelle Roger. Une phobie! Je n’y peux rien…

Tous les ingrédients de la soupe se sont mis à leur cellulaire. Le 911 a été tellement surchargé que les secours sont arrivés trop tard : j’étais dans le parking, sur ma moto, louchant le ciel bleu, me disant que le poisson était là dans on élément. Un poisson, ça ne fait pas de mal à personne… Alors ça doit aller au ciel…

J’ai décidé, après cette aventure, que je m’arrangerais pour nager dans une soupe pas trop compliquée. Au ciel, avec les poissons, je me suis dit qu’on nageait avec des ailes et qu’on volait avec des ouïes…

Ici, on rampe…

Avec des masques en plus…

J. Krishnamurti, La mort

La question de la mort

Carlos Suarès: Mais n’existe-t-il pas une peur fondamentale?

Krishnamurti: Non. La peur est toujours la peur de quelque chose. Examinez la question très attentivement et vous le verrez. Toute peur, même inconsciente, est le résultat d’une pensée. La peur généralement répandue dans tous les domaines et la peur psychologique, à l’intérieur du moi, sont toujours la peur de ne pas être. De ne pas être ceci ou cela, ou de ne pas être tout court. La contradiction évidente entre le fait que tout ce qui existe est transitoire et la recherche d’une permanence psychologique, voilà l’origine de la peur. Pour être libéré de la peur, on doit explorer l’idée de permanence dans sa totalité. L’homme qui n’a pas d’illusions n’a pas peur. Cela ne veut pas dire qu’il soit cynique, amer ou indifférent.

Carlos Suarès: Cela veut dire qu’il a vu que la structure psychologique sur laquelle il appuie la notion de son identité n’est pas réelle, qu’elle est verbale.

Krishnamurti: Ainsi, nous voici devant un des problèmes majeurs : la mort. Pour comprendre cette question, non pas verbalement mais en fait, je veux dire pour pénétrer en toute réalité le fait de la mort, on doit se débarrasser de tout concept, de toute spéculation, de toute croyance à son sujet, car toute idée que l’on peut avoir là-dessus est engendrée par la peur. Si nous sommes sans peur, vous et moi, nous pouvons poser correctement la question de la mort. Nous ne nous demanderons pas ce qui arrive « après », mais nous explorerons la mort en tant que fait. Pour comprendre ce qu’est la mort, toute mendicité tâtonnante dans les ténèbres doit cesser. Sommes-nous, vous et moi, dans cette disposition d’esprit qui ne cherche pas à savoir ce qu’il y a « après la mort », mais qui se demande ce qu’est la mort? Voyez-vous la différence? Si l’on se demande ce qu’il y a « après », c’est parce que l’on ne se demande pas ce que c’est. Et sommes-nous en condition de nous poser cette question? Peut-on réellement se demander ce qu’est la mort tant que l’on ne se demande pas ce qu’est la vie? Et est-ce se demander ce qu’est la vie, tant qu’on a des notions, des idées, des théories au sujet de ce qu’elle est? Quelle est la vie que nous connaissons? Nous connaissons l’existence d’une conscience qui se débat sans cesse dans toutes sortes de conflits intérieurs et extérieurs.

Déchirée dans ses contradictions, cette existence est con- tenue dans le cercle de ses exigences et de ses obligations, des plaisirs qu’elle recherche et des souffrances qu’elle fuit. Nous sommes entièrement absorbés par un vide intérieur que l’accumulation de possessions matérielles ou mentales ne peut jamais combler. Dans cet état, la question de ce qu’est la mort ne peut pas se poser, parce que la question de ce qu’est la vie ne se pose pas. L’existence que nous connaissons est-elle la vie? De même, les explications: résurrection des morts, réincarnation, etc., proviennent-elles d’une connaissance de la mort? Elles ne sont que des projections d’idées que l’on se fait au sujet du fragment d’existence que l’on appelle vie. Mourir à la structure psychologique avec laquelle on s’identifie ; mourir à chaque minute, à chaque journée, à chaque acte que l’on fait, mourir à l’immédiat du plaisir et à la durée de la peine, et savoir tout ce qui est impliqué dans ce mourir ; alors on est apte à poser la question : qu’est-ce que la mort?

On ne discute pas avec la mort corporelle. Et pourtant, seuls ceux qui savent mourir d’instant en instant peuvent éviter d’entreprendre avec la mort un impossible dialogue. En cette mort perpétuelle est un perpétuel renouveau, une fraîcheur qui n’appartient pas au monde de la continuité dans la Durée. Ce mourir est création. Création est mort et amour.

Les églises ne peuvent rien

Carlos Suarès: J’ai des questions à vous poser au sujet de la religion. Les plus récentes des grandes religions sont tout de même nées à des époques où la Terre était un disque plat, où le soleil parcourait la voûte du ciel, etc. Jusqu’à une époque récente (Galilée n’est pas loin), elles imposaient par la violence une imagerie enfantine du Cosmos. Aujourd’hui, ne pouvant faire autrement, elles se mettent au pas de la science et se contentent d’avouer que leurs cosmogonies ne sont que symboliques. Mais elles proclament que, malgré cette capitulation, elles sont les dépositaires de vérités éternelles. Qu’en pensez-vous?

Krishnamurti: Elles poursuivent leur propagande en vue de conquérir un pouvoir sur les consciences. Elles cherchent à s’emparer de l’enfance pour mieux la conditionner. Les religions des Églises et celles des États proclament la nécessité de toutes les vertus, alors que leur Histoire n’est qu’une série de violences, de terreurs, de tortures, de massacres inimaginables.

Carlos Suarès: Mais ne pensez-vous pas que les Églises aujourd’hui sont moins étroitement militantes? Ne voyons-nous pas les chefs des plus grandes Églises déclarer que la fraternité humaine est plus importante que le détail des cultes?

Krishnamurti: Si une déclaration de fraternité est plus importante que le culte, c’est que le culte a perdu de son importance aux yeux mêmes de ses pontifes. Ce prétendu universalisme n’est tout au plus qu’une tolérance. Etre tolérant, c’est à peine tolérer le voisin sous certaines conditions. Toute tolérance est intolérance, de même que la non-violence est violence. En vérité, à notre époque, la religion, en tant que véritable communion de l’homme avec ce qui le dépasse, ne joue pas de rôle dans la marche des affaires humaines. Les organisations religieuses, par contre, sont des instruments politiques et économiques.

Carlos Suarès: Mais ces organisations religieuses ne peuvent-elles pas guider les hommes vers une réalité qui les dépasse?

Krishnamurti: Non.

Qu’est-ce qu’un esprit libre?

Carlos Suarès: Passons donc au sentiment religieux. L’homme moderne, qui vit consciemment dans l’univers d’Einstein et non plus dans celui d’Euclide, ne peut-il pas mieux communier avec la réalité de l’univers grâce à une conscience avertie et élargie d’une façon adéquate?

Krishnamurti: Celui qui veut élargir sa conscience peut aussi bien choisir, parmi les psychodrogues, celle qui lui conviendra le mieux. Quant à mieux communier avec l’univers grâce à une accumulation d’informations et de connaissances scientifiques au sujet de l’atome ou des galaxies, autant dire qu’une immense érudition livresque, au sujet de l’amour, nous fait connaître l’amour. Et d’ailleurs votre homme ultramoderne, si au courant des dernières découvertes scientifiques, aura-t-il pour autant mis le feu à son univers inconscient?

Tant qu’une seule parcelle inconsciente subsistera en lui, il projettera une irréalité de symboles et de mots au moyen de laquelle il aura l’illusion de communier avec quelque chose de supérieur.

Carlos Suarès: Ne pensez-vous pas, cependant, qu’une religion de l’avenir sur des bases scientifiques est possible?

Krishnamurti: Pourquoi parle-t-on de religion d’avenir? Voyons plutôt ce qu’est la vraie religion. Une religion organisée ne peut produire que des réformes sociales, des changements superficiels. Toute organisation religieuse se situe nécessairement à l’intérieur d’un cadre social. Je parle d’une révolution religieuse qui ne peut avoir lieu qu’en dehors de la structure psychologique d’une société, quelle qu’elle soit. Un esprit vraiment religieux est dénué de toute peur, car il est libre de toutes les structures que les civilisations ont imposées au cours de millénaires. Un tel esprit est vide, en ce sens qu’il s’est vidé de toutes les influences du passé, collectif et personnel, ainsi que des pressions qu’exerce l’activité du présent qui crée le futur.

Carlos Suarès: Un tel esprit, du fait qu’il s’est vidé de son contenu qui en vérité le contenait, est extraordinairement libre…

Krishnamurti: Il est libre, vif et totalement silencieux. C’est le silence qui importe. C’est un état sans mesure. Alors seulement peut-on voir, mais non en tant qu’expérience, Cela qui n’a pas de nom, qui est au-delà de la pensée, qui est énergie sans cause. A défaut de ce silence créateur, quoi que l’on fasse, il n’y aura sur terre ni fraternité ni paix, c’est-à-dire pas de vraie religion.

Carlos Suarès: Toutes les religions préconisent quelque forme de prière, quelque méthode de contemplation en vue d’entrer en communion avec une réalité supérieure, dont le nom, Dieu, Atman, Cosmos, etc. varie. Par quel acte religieux procédez-vous? Est-ce que vous priez?

Krishnamurti: La répétition de mots sanctifiants calme un esprit agité en l’endormant.

La prière est un calmant qui permet de vivre à l’intérieur d’un enclos psychologique sans éprouver le besoin de le mettre en pièces, de le détruire. Le mécanisme de la prière, comme tous les mécanismes, donne des résultats mécaniques. Il n’existe pas de prière capable de transpercer l’ignorance de soi. Toute prière adressée à ce qui est illimité présuppose qu’un esprit limité sait où et comment atteindre l’illimité. Cela veut dire qu’il a des idées, des concepts, des croyances à ce sujet, et qu’il est pris dans tout un système d’explications, dans une prison mentale. Loin de libérer, la prière emprisonne. Or, la liberté est l’essence même de la religion, dans le vrai sens de ce mot. Cette essentielle liberté est déniée par toutes les organisations religieuses, en dépit de ce qu’elles disent. Loin d’être un état de prière, la connaissance de soi est le début de la méditation. Ce n’est ni une accumulation de connaissances sur la psychologie, ni un état de soumission dite religieuse, où l’on espère la grâce. C’est ce qui démolit les disciplines imposées par la Société ou l’Église. C’est un état d’attention et non une concentration sur quoi que ce soit de particulier. Le cerveau étant tranquille et silencieux observe le monde extérieur et ne projette plus aucune imagination ni aucune illusion. Pour observer le mouvement de la vie, il est aussi rapide qu’elle, actif et sans direction. Alors seulement, l’immesurable, l’intemporel, l’infini peut naître. C’est cela, la vraie religion.

Ce qui reste à éveiller

Carlos Suarès: Pensez-vous qu’une pensée collective, qu’une intelligence collective, ayant enregistré et synthétisé les récentes acquisitions de toutes les sciences, si elle pouvait se constituer, serait à même de guider l’humanité vers une saine évolution?

Krishnamurti: Du char à bœufs à la fusée astronautique la progression est due à une certaine partie du cerveau. Se développerait-elle, cette partie, encore des millions de fois, elle ne ferait pas avancer d’un pas le problème fondamental que se pose la conscience humaine à son propre sujet. Et elle se développera. Ce processus est irréversible et nécessaire. Mais il existe une autre partie du cerveau qui n’est pas éveillée et que nous pouvons vitaliser dès aujourd’hui. Cet éveil n’est pas une question de temps. C’est une explosion révolutionnaire qui, aux sources de toute chose, surgit et empêche que se cristallise, que se durcisse, par les dépôts du passé, une structure psychologique. Cette lucidité aborde chaque problème au fur et à mesure qu’il se présente, et l’importance du problème devient secondaire. La liberté et la paix ne pourront s’instaurer dans le monde que si ce surgissement, qui est énergie sans cause, ni individuelle ni collective, est vivant.