Archives quotidiennes : 18-novembre-2011

Quel monde pour quelle vie?

Source image: Flickr  

par Pr Chems Eddine Chitour

«Le bien-vivre, la qualité et la poésie de la vie, y compris dans son rythme, sont des choses qui doivent – ensemble – nous guider. C’est pour l’humanité une si belle finalité. Cela implique aussi et simultanément de juguler des choses comme la spéculation internationale… Si l’on ne parvient pas à se sauver de ces pieuvres qui nous menacent et dont la force s’accentue, s’accélère, il n’y aura pas de bien-vivre.»

Edgard Morin, philosophe

Nos existences ressemblent au tir à la corde. Le monde nous pousse vers le «fast» quand on n’aspire qu’au «slow». La planète est frappée d’un mal terrible, celui de la vitesse. Toujours plus vite, plus haut, plus loin et… toujours moins bien pensé. Mais pourquoi le «vite fait mal fait» s’est-il ainsi emparé du travail, de l’action politique et de notre vie quotidienne? Et comment y remédier? «Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l’eldorado.» Car oui, notre société va vite, trop vite. On mange trop vite, on dort trop peu, on bâcle de plus en plus et l’on savoure de moins en moins. Et cela dépasse le chronomètre: l’ère de l’urgence porte en elle le stress bien sûr, mais aussi le moche, le mal conçu, le standardisé, le superficiel, l’énergivore, le polluant… Fast-food égal malbouffe; chanteurs jetables égalent pop indigeste; lois pondues dans l’urgence d’un fait divers égalent texte bancal et souvent retoqué par le Conseil d’Etat… Et le pire, écrit le philosophe catalan, Joan Domènech Francesch dans son Eloge de l’éducation lente, c’est que «l’augmentation de la rapidité n’engendre pas de gain de temps, mais accroît la sensation de manque». Mais d’où vient cette fièvre accélératrice?(4)

(…)

La première étape sur le chemin du bonheur se situe donc dans notre capacité à faire preuve de solidarité envers et contre tout…. Le libéralisme sauvage n’est même pas une idéologie. C’est un état d’esprit. Si c’était une idéologie, comme le communisme, le nazisme, le socialisme, etc. il serait possible de le combattre avec les mêmes armes. Mais comment expliquer à un enfant élevé dans le culte de la réussite et de l’argent, que l’essentiel se trouve ailleurs? Comment faire comprendre à un étudiant en préparatoire. qu’il est possible de réussir sans écraser les autres dès lors que ce système éducatif l’y incite?(6)

Le monde idéal n’existe que dans le monde des idées. La charité et la solidarité sont les deux faces de l’humanité. Chez certains groupes d’hommes, l’empathie est canalisée, comme d’autres tendances psychologiques. L’empathie s’adapte à l’instinct de survie. Certains peuples organisent ou organisaient l’euthanasie ou le suicide des plus faibles et des plus vieux lorsque la survie du groupe était en cause. D’autres sont capables d’aller détruire une tribu voisine (ou pays) sous prétexte que c’est nécessaire pour assurer la sécurité de la leur.

Pierre Bourdieu, avec sa lucidité prophétique, proposait de concevoir le libéralisme comme un programme de «destruction des structures collectives» et de promotion d’un nouvel ordre fondé sur le culte de «l’individu seul mais libre», «le néolibéralisme vise à la ruine des instances collectives construites de longue date, par exemple, les syndicats, les formes politiques, mais aussi et surtout la culture en ce qu’elle a de plus structurant et de ce que nous pensions être pérennes». (…) Il avait lancé un appel pour qu’on procède à un vaste travail d’enquête en vue de fournir des «descriptions circonstanciées des souffrances engendrées par les politiques néolibérales» susceptibles de déboucher sur des indices ad hoc qui permettent de poser la question «des coûts sociaux de la violence économique et tenter de jeter les bases d’une véritable économie du bonheur».(7)

Dans le monde ancien, la finalité de la vie humaine était de comprendre l’ordre du monde, et de le respecter. En deux mots: harmonie et respect. En Occident, il en est tout autrement. L’homme ne se voit pas à côté des autres formes de vie: il est au-dessus. Et il n’est pas seulement au-dessus: il est aussi «à part», d’une autre nature. L’homme n’accepte pas de subir: il veut modeler le monde, le dominer. Le monde physique et les autres formes de vie sont des ressources à disposition et peu importe si l’empreinte écologique s’emballe! Devant l’anomie du monde, chacun de nous, agit à l’intérieur de cette logique folle, tout en rêvant d’un monde plus «humain» dont on a perdu la signification réelle.

Pour l’article en entier:

Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

mondialisation.ca

 

 

Écrire ou ne pas écrire

L’écriture est un medium en expansion. On n’a jamais tant écrit… email, texto, blog, etc. Elle n’est plus réservée à quelques heureux élus. Les préjugés déterminant «qui devait écrire ou ne pas écrire» sont en train de disparaître. Certaines personnes possèdent un don inné, et d’autres le développent. L’écriture, c’est pour tous. Il suffit d’aimerécrire.

Écrivez ce que vous n’osez pas dire
Votre esprit : c’est le terreau. Vos sens, vos tripes, votre cœur et votre corps racontent vos expériences : c’est le compost. Votre imagination brute, pure, sauvage, vibrante, décadenassée : c’est le jardin.
Si vous avez besoin d’un coup d’envoi, je vous suggère «Lettres à un jeune poète» de Rainer-Maria Rilke.
Extrait :
Une seule chose est nécessaire: la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne – c’est à cela qu’il faut parvenir. Être seul comme l’enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l’enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s’en affairent et que l’enfant ne comprend rien à ce qu’elles font.
S’il n’est pas de communion entre les hommes et vous, essayez d’être prêt des choses : elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays. Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d’événements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l’enfant que vous fûtes : tristes et heureux; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien.
(…) Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande d’écrire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cour; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s’il vous était interdit d’écrire. Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il écrire? Creusez en vous-mêmes à la recherche d’une réponse profonde. Et si celle-ci devait être affirmative, s’il vous était donné d’aller à la rencontre de cette grave question avec un fort et simple « il le faut », alors bâtissez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu’en son heure la plus indifférente et la plus infime, doit être le signe et le témoignage de cette impulsion.
Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez. N’écrivez pas de poèmes d’amour; évitez d’abord les formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus difficiles, car il faut la force de la maturité pour donner, là où de bonnes et parfois brillantes traditions se présentent en foule, ce qui vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; décrivez vos tristesses et vos désirs, les pensées fugaces et la foi en quelque beauté. Décrivez tout cela avec une sincérité profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rêves et les objets de votre souvenir.
Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas; accusez-vous vous-même, dites-vous que vous n’êtes pas assez poète pour appeler à vous ses richesses; car pour celui qui crée il n’y a pas de pauvreté, pas de lieu pauvre et indifférent. Et fussiez-vous même dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir à vos sens aucune des rumeurs du monde, n’auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette délicieuse et royale richesse, ce trésor des souvenirs? Tournez vers elle votre attention. Cherchez à faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passé; votre personnalité s’affirmera, votre solitude s’étendra pour devenir une demeure de douce lumière, loin de laquelle passera le bruit des autres.
Photomontage « Rilke » : Stan Neumann