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Décroissance et respect de la Nature

Dans la critique que nous faisons de la « Décroissance », il y a en fait aussi la critique du primitivisme. En fait, on peut même dire que la « Décroissance », c’est le primitivisme sans la radicalité et surtout sans le respect de la Nature.

Pour repréciser tout cela, voici quelques questions posées à John Zerzan, l’un des principaux penseurs primitivistes. Cela dans un but d’information, mais également de distinction et de discernement dans la grande bataille pour réaliser  l’utopie.

Dans sa célèbre œuvre de science-fiction, Isaac Asimov a considéré que la surpopulation rendra nécessaire de coloniser l’espace. Nous pensons que c’est peut-être vrai, mais nous luttons pour l’harmonie, dans ce que nous appelons Gaïa, d’une humanité hautement développée.

John Zerzan, vous êtes un auteur prolifique sur la question de ce qu’on appelle le « primitivisme. » Pouvez-vous nous en parler et de comment vous en faire la promotion, et comment vous évaluer notre point de vue?

L’anarcho-primitivisme est également connu comme l’anarchie verte (green anarchy) et la critique de la civilisation. Cela signifie, entre autres choses, je crois, qu’à moins que nous ayons un avenir en quelque sorte primitif, nous n’aurons pas d’avenir.

Cela signifie également que la domestication / la civilisation est à la racine de la tombe et de l’approfondissement de la crise globale. Les humains ont pris un très mauvais tournant avec avec l’adoption de la domestication ou de l’agriculture.

Cet tournant, au détriment des peuples libres de chasseurs-cueilleurs, était un tournant vers le contrôle. Le contrôle des animaux, des plantes et de nous-mêmes. Cette logique de domestication n’est allé que vers l’avant et cela continuera de faire ainsi, jusqu’à ce qu’elle soit reconnue pour ce qu’elle est et qu’elle soit arrêtée.
Freud (Malaise dans la civilisation) a vu que la domestication comme créant la névrose, l’absence de joie, parce qu’elle enlève la liberté des instincts et de l’eros.

Quatre-vingts ans ont passé, on peut voir la vérité de son affirmation. Lorsque l’humain a entrepris de contrôler les animaux et les plantes, nous nous sommes domestiqués nous-mêmes dans le processus.

Il y a de plus en plus de contrôle, ce qui commence, le plus basiquement, avec la domestication il y a environ 10.000 ans, la « pire erreur », dans les mots de Jared Diamond, dans l’histoire humaine. L’objectif est donc, plus simplement, d’en finir avec elle.

La logique interne de la domestication a colonisé la terre et progressivement détruit le monde naturel. De la civilisation, à la société de masse, à l’industrialisation, la mondialisation. Il s’agit d’un cancer, mais pas vraiment compris comme tel.

Coloniser d’autres planètes seraient répandre ce cancer qui détruit celle-ci, une idée absurde, une capitulation. Davantage de gens ont maintenant des doutes quant au Progrès, parce que son bilan est terrible. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui ne voit vraiment pas l’échelle gigantesque de l’éco-catastrophe qui se déroule maintenant rapidement?

En France, nous avons l’écrivain Jules Verne qui était fasciné par la technologie, mais nous avons aussi Claude Bernard, le « prince » de la vivisection, ou Descartes qui considérait que les animaux n’ont pas d’âme et ne peuvent pas vraiment souffrir.

Comment comprenez-vous cela dans votre point de vue? Que pensez-vous de la notion de progrès en général, et comment considérez-vous le véganisme?

J’ai beaucoup de respect pour ceux qui adoptent un point de vue vegan. Mais bien sûr, cela doit signifier plus qu’un changement de style de vie de consommateur, plus qu’une attitude moraliste.

Je ne suis pas sûr de ce que « véganisme » signifie dans l’ensemble, pas clair s’il ya un point de vue ici ou plus d’un.

En France, il y a maintenant une lutte importante contre la construction d’un grand aéroport, près de Nantes, dans l’ouest de la France. La plupart des gens qui luttent croient en un projet d’auto-détermination, avec de petites auto collectivités durables, et ils occupent le terrain où l’aéroport devrait être construit.

Nous pensons que c’est à moitié réactionnaire à moitié progressiste, parce que si la raison de lutter est correct, le projet en réponse implique toujours le repli individuel et l’exploitation animale. En fait, nous croyons au progrès et voulons une planète végan.

Comment interprétez-vous cette lutte? Comment croyez-vous que le primitivisme peut ou va gagner, comme façon de vivre sur la planète entière?

Je pense que toutes les luttes contre les aéroports, les barrages, les mines, les trains à grande vitesse
trains, etc. sont en un sens « primitiviste » ou anti-Progrès. La technologie et l’industrie ne sont pas neutres. C’est intrinsèquement anti-vie.

Leurs valeurs ou les choix impliqués sont contre la nature, contre la vie. Leurs promesses sont aussi
fausses que celles de la domestication et le bilan est encore plus évident.

Vous êtes d’origine tchèque. Cela a-t-il joué un rôle? Dans l’histoire, Karl Renner, qui provient d’une région tchèque a fondé les Amis de la Nature en Autriche. N’était-ce pas un mouvement qui a mis en avant des conceptions bonnes?

Je suis Tchèque, mais n’ait jamais visité la République tchèque (bien que j’aie été en Inde 3 fois, en Russie, au Brésil, etc.). Karl Renner est inconnu pour moi, merci pour la référence à lui et aux Amis de la Nature en Autriche.

En France, le cas de l’« Unabomber » est quelque chose qui a été un peu célèbre à l’époque. Que pensez-vous des positions de Theodore Kaczynski contre la modernité, que nous trouvons plus orientées contre la « gauche » que quelque chose d’autre?

Kaczinski a certainement une critique de la Gauche, mais il va plus loin. « La société industrielle et son avenir » (son soi-disant Manifeste) peut être résumer ainsi, à mon avis: plus la technologie est présente dans la société, moins il y a l’accomplissement de l’individu et moins il y a de liberté. Je suis d’accord avec cela.

Désolé de poser cette question, qui est anti-intellectuel, mais nous le devons: en tant que défenseur de primitivisme, vous vivez dans un monde plein de technologie. N’est-ce pas une contradiction? Ou de manière plus intéressante: comment se peut-il qu’une pensée complexe doit exister pour que nous puissions revenir à un passé simple, pour ainsi dire?

C’est certainement une contradiction que d’être anti-technologie et de pourtant utiliser la technologie. Mais surtout on ne nous a pas donné le choix. Je pourrais refuser de voler en avion ou de faire une émission de radio ou de communiquer par courrier électronique des personnes – et donc me retirer de la possibilité de faire une contribution au dialogue. Je n’ai pas choisi ce monde et j’espère voir sa dissolution, mais ce serait idéologique et contre-productif que de rester séparé de lui – comme si on pouvait actuellement.

Est-ce une pensée complexe, l’idée d’un retour? Ce qui me frappe, c’est sa simplicité : nous avons besoin de nous débarrasser de tout cela. Pas si complexe, hein? Difficile à faire, mais pas à penser.

Comment comprenez-vous l’idéologie du survivalisme? Pensez-vous que cela fait partie d’une tendance positive, ou au contraire cela démontre-t-il une non compréhension de la situation?

Le survivalisme en Amérique du Nord a une orientation de droite, tournée vers la propriété privée, quelque chose comme cela. Kaczinski est PEUT-ÊTRE un peu trop près de cela, bien qu’il se soit appelé lui-même un anarchiste.

Nous avons besoin de nous requalifier nous-mêmes, dans un contexte de déqualification massive, de manière à devenir autonome et de quitter notre état domestiqué. Mais je n’utiliserais pas le mot survivalisme.

Je veux un monde de communauté visage contre visage, dans lequel nous pouvons être responsable et rendre des comptes à nous-mêmes et la vie. Un monde radicalement décentralisé, quelque chose qui ressemble à la société en bande, dans laquelle nous avons vécu pendant deux millions d’années.

Quelques articles proches:

Ce que décroître veut dire

 

Éric Pineault – Professeur au Département de sociologie de l’UQAM 

Critiquer la croissance, c’est, dans un premier temps, souligner les limites des solutions économiques à la crise écologique actuellement mises en avant au Québec, pour ensuite envisager les […] possibilités d’une transition écologique radicale – et donc exigeante […]. Une véritable transition implique une série de ruptures, non seulement avec le dogme de la croissance matérielle comme vecteur de progrès, mais plus largement avec le régime de propriété et le mode de consommation et de production qui caractérisent le capitalisme en tant que tel. Finalement, décroître veut aussi dire reconnaître l’existence d’autres types d’économies que cette économie capitaliste et les valoriser.

 

Or, pour plusieurs, inutile d’aller si loin ! Tant à gauche qu’à droite, on pense que les approches qui vont du « capitalisme vert » au « keynésianisme écologique » permettraient d’amorcer une transition vers un autre modèle de croissance en évitant l’effondrement écologique que prédisent plusieurs scientifiques.

 

La plus sérieuse de ces propositions, le keynésianisme écologique, mise sur des politiques publiques structurantes, en particulier une taxe sur le carbone et des dépenses publiques élevées. Le keynésianisme écologique est certes anti-néolibéral, ce qui lui donne un air de radicalité […]. Mais il ne va pas jusqu’à rompre avec le capitalisme. […] Par l’investissement public massif dans les technologies vertes et la reconversion écologique des infrastructures (industries, routes, parcs immobiliers), une telle approchepourrait sortir l’économie du piège « stagnation/austérité » […]. Au Québec, les projets d’électrification des transports et de sortie de notre dépendance au pétrole sont des exemples types de cette approche.

 

Si elle n’est pas nécessairement contre certains projets de modernisation écologique, l’approche de la décroissance considère néanmoins que le keynésianisme écologique ne peut que différer pour quelque temps (des décennies, des années) l’inévitable effondrement d’un système économique basé sur la croissance illimitée dans un monde biophysique limité. […]

 

Trois économies

 

L’économie qui doit décroître est celle qui prend la forme d’une économie monétaire de production […]. C’est celle que mesure le PIB […]. Or, ceux qui réfléchissent à la transition écologique font valoir que celle-ci n’est qu’une de nos trois « économies », au sens étymologique du terme oikos-nomos, qui renvoie aux modalités par lesquelles nous assurons la reproduction matérielle de notre société et produisons nos biens et services. Il faut donc aussi tenir compte de l’existence d’une économie vernaculaire et ordinaire (non monétaire) de production, propre à un cadre de production domestique ou communautaire, et de ce que nous pouvons nommer une économie naturelle, que représentent les écosystèmes avec lesquels nous coproduisons la structure métabolique de notre société. […]

 

Or, depuis quelques siècles la croissance de l’économie monétaire de production capitaliste se fait aux dépens de ces deux autres types d’économie […]. Décroître signifie donc renverser l’emprise de cette économie monétaire sur les deux autres autant qu’effectuer de profonds changements dans la base technologique de notre mode de production et nous défaire d’une norme de consommation fondée sur le gaspillage. Décroître, c’est accepter de consacrer plus de temps et de ressources sociales au développement des activités et institutions de l’économie vernaculaire, ce qui implique de revaloriser les activités de production de biens et services qui s’effectuent dans le cadre domestique et communautaire […]. Cela peut se traduire, par exemple, par une plus grande production et transformation agro-alimentaires sur le plan local, et par une plus grande part d’activités consacrées à l’entretien, la réparation et la réutilisation de biens durables et semi- durables […].

 

La transition, une révolution culturelle

 

Au Québec, il existe un consensus voulant que la transition écologique nécessite d’importants changements dans la base énergétique de notre économie. Le débat public est déjà entamé sur comment nous pouvons « sortir du pétrole » grâce à notre vaste potentiel hydroélectrique ainsi que par la mobilisation de nouvelles (et vieilles) sources énergétiques renouvelables telles que l’éolien, le solaire, la géothermie et la biomasse ligneuse (bois et résidus de bois). Mais la perspective de la décroissance est beaucoup plus exigeante ; elle exige que nous réduisions notre usage de l’énergie afin de soutenir la sortie du pétrole et du charbon chez nos voisins immédiats.

 

[…]

 

La même chose doit être dite de la base matérielle de notre vie quotidienne : l’habitat, les véhicules et la multitude de choses qui nous entourent. La décroissance implique de développer un mode de production et de circulation des biens basé sur le développement de circuits économiques courts […]. On peut, par exemple, facilement envisager la chose dans le secteur de la construction/rénovation de bâtiments résidentiels et commerciaux, où les matériaux pourraient mieux refléter les économies naturelles […]. Pensons à un meilleur usage du bois comme matériau de structure – en particulier les bois francs dans le sud du Québec – ainsi que des matériaux isolants de sources végétales.

 

[…] Cette transition signifie aussi et surtout la décroissance générale de notre dépendance à la production industrielle, parce qu’il nous faut réduire dans l’absolu notre consommation matérielle et éliminer toutes les formes de gaspillage qui sont actuellement des moteurs d’une croissance économique liant surproduction et surconsommation. […]

 

Ainsi, une transition faite dans une optique de décroissance provoquera un bouleversement fondamental de notre mode de vie. Une telle révolution est culturelle dans le sens profond du terme : elle implique, d’une part, la naissance d’une nouvelle culture et, d’autre part, une critique radicale des structures de notre quotidien, de nos valeurs et de nos aspirations, critique qui est passablement rebutante et peut même paraître régressive. La décroissance a beau se vouloir conviviale, elle commande une simplicité qui est loin d’être évidente – ni même volontaire ! Le choc culturel à venir sera aussi important que celui qu’a connu le Québec lorsqu’il devint une société industrielle et urbaine au XXe siècle.

 

[…] La limite principale […] est qu’actuellement, les forces sociales anti-néolibérales, telles que les organisations syndicales les plus militantes, sont plutôt engagées dans une lutte contre l’austérité, contre la stagnation et donc pour un retour de la croissance… Une contradiction de plus dans ce que décroître veut dire au Québec.

 

Éric Pineault – Professeur au Département de sociologie de l’UQAM