J’ai toujours aimé la pluie. Je me souviens qu’à douze ans, nous courrions vers la rivière pendant qu’il pleuvait. Et cela sous un ciel noir entaillé de raies de lumière qui tailladaient l’asphalte noire.
Nous foncions vers la rivière, comme pour rejoindre toute cette eau du ciel qui pétaradait dans les rues, ruisselait, cherchait des fissures dans la Terre. Mais nous savions qu’elle finissait toujours à la rivière.
Nous nous jetions à l’eau, pataugeant, heureux. Comme dans le ventre d’une mère.
Chaque gouttelette fêtait le sol. Elles s’y enfilaient comme des aiguilles humides.
Et la rivière enflait, ses courants grossissaient.
Comme le ventre d’une mère.
Je les ai vues, et je les vois encore ….
Faire l’amour à la terre, diamantant les fleurs de perles de lumière. Des grappes de bulles pellucides. Des micas liquides.
Comme pour faire l’amour aux couleurs des fleurs et du vert des fougères.
Des micas liquides…
Je les vois… Je les ai toujours vus…
Aujourd’hui c’est un jour de pluie. Je suis paresseux comme un chat. Même si la société m’a appris à en avoir honte de l’être. Je n’ai pas travaillé : j’ai appris à savoir l’univers.
Alors je me suis assis, après le déjeuner, sur les dalles de pierre, simplement à regarder couler cette nourriture du ciel sur le potager. Silencieux comme dans les grandes peines. Mais heureux d’un silence heureux à simplement regarder et boire la beauté descendre goutte à goutte.
Pendant qu’à la télé, à travers ces hordes de vacanciers qui attendent le «beau temps», j’ai pris conscience que le beau temps n’est que celui que l’on prend quand il est là. Parfois c’est le vent qui de sa rage gifle les arbres et couche les herbes mouvantes.
Alors je laisse simplement la vie venir à moi. Qui donc a dit que la pluie était laide? Je viens d’apprendre que quelqu’un a décidé de ce qui était beau. Et j’ai avalé cette notion de beauté… Comme une vérité. Encore….
Je reste là, accroupi. La pluie tambourine sur le toit métallique du garage. Plus près, c’est un son feutré… Sur chaque objet un son différent. Une symphonie de clapotis. J’ai été sourd pendant dix ans. Dix ans… Même maladie que Beethoven… Et depuis que j’ai recouvré l’ouïe, je ne suis plus le même. J’ai appris à lire sur les lèvres, j’ai appris la faim des sons…
Je vois des taches protéiformes : quelqu’un, quelque chose, dessine des formes vivantes sur les pierres de l’entrée. Quelqu’un ou quelque chose tresse des couleurs et des lumières nouvelles sur tout ce qui entoure la maison. Tous mes sens emmêlés sont pris dans cette toile d’araignée invisible. Un yoga sans postures…
C’est beau! C’est beau parce que des diamants habillent des fleurs, et plus encore, ils musiquent sur les feuilles des arbres, descendent du toit… Je ne sais plus si j’entends où je vois.
Les nuages se déchirent et se recousent, griffés par les mains qui brassent le gris et le noir et jettent de temps en temps une raie blanche, ou des cheminées de lumières qui fouillent les environs.
J’ai toujours aimé la pluie.
Mais on m’a défendu de l’aimer.
On m’avait tant dit que la pluie était laide.
Et toutes les chaînes de télévision le disent : « Il ne fera pas beau, il va pleuvoir».
Quelqu’un ou quelque chose a décidé de ce qui serait «beau».
Ce n’est pas New York. Ce n’est pas la Floride. Ce n’est pas non plus une île du Pacifique.
C’est ici.
Le chat est assis, tranquille, sur son promontoire de carton que je lui ai fabriqué. Il hume toutes les odeurs, s’étonne de cet abreuvoir étrange qui tombe du ciel.
Il s’appelle «Café» parce qu’il est noir…Le chat de ma fille…
Mais le café, avant d’être grillé, il est vert.
– On n’est pas mûrs, toi et moi… On ne le sera jamais… On sait s’étonner….
Le chat me regarde. Tout le monde a sept vies, c’est juste qu’on est que trop hypnotisés par la vision des autres…
– On se fait tuer, toi et moi…
– Ronnnnnnnnnnnnn!
– T’as raison… Tu n’est pas le Petit Robert, mais tu dis tout… C’est que les autres ne comprennent pas.
…. Pour dîner? Du poisson en boîte?
Il ne saura jamais que son poisson existe de par ces petits grains tombés du ciel. Tous les ruisseaux, toutes les rivières, tous les océans…
Il faudrait qu’il fasse comme les humains : aller à l’école pour apprendre à vendre des objets et des idées inutiles. Ou bien créer des armées et défendre les commandites de cigarettes sur les voitures F1.
Comme les soldats cravatés qui s’inquiètent du PIB et d’Oussama Ben Laden…
Je l’insulte :
– Viens, espèce de frite brûlée, on va aller s’étendre…
On est là sur le lit, les paupières closes, et les oreilles toutes ouvertes à ces pétarades sur le toit. Quand on tend bien l’oreille, c’est une musique… Comme si Dieu s’était fabriqué un clavier de cette tôle galvanisée…
Le chat ronronne.
La fenêtre a l’air de pleurer sous ses gouttelettes qui coulissent.
Maintenant je sais qu’elle s’en ira à la rivière.
Et ça me rend heureux.
Quand on sait où va l’eau, on entend un peu mieux la voie de la Vie.
Gaëtan Pelletier
11 octobre 2004