Archives quotidiennes : 24-mai-2013

Regard sur les Usa : Les pauvres et la dictature des marchés

Pour écrire notre livre Days of Destruction, Days of Revolt (Jours de destruction, jours de révolte), Joe Sacco et moi avons passé deux ans à enquêter sur les endroits les plus pauvres des États-Unis. Nous sommes allés dans les “misérables zones sacrifiées” de notre pays – les premiers endroits obligés de s’agenouiller devant la dictature des marchés – pour montrer ce qui arrive quand le capitalisme dérégulé et l’expansion économique illimitée s’en donnent à coeur joie.

(..) Ce qui s’est passé dans ces zones sacrifiées – les villes post-industrielles comme Camden, N.J., et Detroit, les mines de charbon de l’ouest de la Virginie où les compagnies minières ont fait exploser le sommet des montagnes, les réserves indiennes où le projet dément de l’expansion et l’exploitation économiques sans fin a causé ses premiers dégâts et la culture intensive où les travailleurs sont traités quasiment comme des esclaves – est en train se propager au reste du pays. Ces zones sacrifiées sont tombées les premières. C’est maintenant notre tour.

Les multinationales font les lois. Elles contrôlent nos médias. Elles gèrent le théâtre politique des élections et imposent les programmes éducatifs. Le système judiciaire est à leur service. Elles ont détruit les syndicats et les autres organisations indépendantes de masse, et elles ont acheté le Parti Démocrate qui défendait autrefois les droits des travailleurs. Comme il n’y a plus de réformes au fur et à mesure des besoins – c’était le rôle principal des institutions libérales démocratiques – nous sommes laissés sans protection contre le pouvoir des multinationales.

La saisie secrète par le ministère de la Justice de deux mois de conversations téléphoniques entre des reporters et des rédactions de l’Associated Press est le dernier avatar d’une série d’assauts sans précédents contre nos libertés civiles. Le ministère de la Justice tentait de tracer le ou les officiels du gouvernement qui avaient transmis secrètement des informations à l’AP sur un complot visant à faire sauter un avion de voyageurs qui avait été déjoué. Des informations enregistrées sur les téléphones des agences de l’AP de New York, Washington, D.C., et Hartford, Connecticut, ainsi que sur les portables et les téléphones fixes privés de plusieurs chefs de rédaction et reporters ont été confisquées. Cet incident, ajouté aux mesures comme l’emploi du Espionage Act contre les lanceurs d’alerte va porter un coup fatal à toutes les enquêtes indépendantes sur les abus du gouvernement et des multinationales.

La saisie des appels téléphoniques fait partie d’un effort plus large de l’État-entreprise pour faire taire tous ceux qui contestent la narrative officielle, la Novlangue étatique, et pour cacher au public le fonctionnement interne, les mensonges et les crimes de l’empire. La personne, ou les personnes, qui a transmis à l’AP de l’information classifiée sera, si elle est arrêtée, sûrement poursuivie en vertu de l’Espionage Act. Cette loi, quand elle a été promulguée en 1917, n’était absolument pas destinée à museler les lanceurs d’alerte. Et de 1917 jusqu’à la présidence d’Obama en 2009 elle a été utilisée seulement trois fois contre des lanceurs d’alerte, la première fois contre Daniel Ellsberg qui avait fait fuiter les Papiers du Pentagone en 1971. L’Espionage Act a été utilisé six fois par l’administration Obama contre des lanceurs d’alerte gouvernementaux comme Thomas Drake.

La violente persécution de la presse par le gouvernement – menée par un grand nombre d’agences gouvernementales liguées contre WikiLeaks, Bradley Manning, Julian Assange et des militants comme Jeremy Hammond – se combine avec l’emploi de la loi de 2001 autorisant à se servir de l’armée pour assassiner des citoyens étasuniens ; et avec l’emploi du FISA Amendments Act, qui légalise après coup ce que notre Constitution ne permettait pas autrefois : la surveillance et la mise sur écoute sans mandat de dizaines de millions de citoyens étasuniens ; et avec l’emploi de la Section 1021 du National Defense Authorization Act qui permet au gouvernement de se saisir de citoyens étasuniens, de leur retirer tous leurs droits et de les maintenir indéfiniment en détention. Toutes ces mesures prises ensemble sonnent le glas de presque toutes nos libertés civiles.

Une poignée d’oligarques internationaux du monde des affaires concentre tout – la richesse, le pouvoir et les privilèges – et le reste d’entre nous doit lutter pour survivre à l’intérieur d’une vaste classe de sous-citoyens de plus en plus pauvres et réprimés. Il y a des lois pour nous ; et d’autres lois pour une puissante élite qui fonctionne comme une mafia sans frontières.

Nous assistons impuissants au désastre. Le droit de vote ne nous sert à rien contre la puissance des multinationales. Les citoyens n’ont pas les moyens d’attaquer en justice les banquiers et les financiers de Wall Street pour fraude, ni les officiels de l’armée et des services secrets pour torture et crimes de guerre, ni les officiers de surveillance et de sécurité pour atteinte aux droits de l’homme. La réserve Fédérale n’a plus pour seule fonction que d’imprimer de la monnaie qu’elle prête aux banques et aux organismes financiers à 0% d’intérêt, pour que ces entreprises privées nous la prêtent ensuite à des taux usuraires qui vont jusqu’à 30%. Je ne sais même plus quel nom donner à ce système. Ce n’est certainement pas du capitalisme. C’est plutôt de l’extorsion. L’industrie fossile pendant ce temps saccage sans relâche l’écosystème pour faire du profit. La fonte de 40% des glaces de l’Arctique est une excellente affaire pour les multinationales. Elles s’y ruent pour en extraire les derniers restes de pétrole, de gaz naturel, de minéraux et de poissons, sans se soucier des soubresauts de la planète moribonde. Ces mêmes entreprises toutes puissantes qui nous régalent de feuilletons interminables en lieu et place d’informations dignes de ce nom, du dernier procès impliquant O.J. Simpson aux croustillants détails du procès pour meurtre de Jodi Arias, ont fait monter les taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère à plus de 400 parts par million. Elles nous fascinent avec leurs hallucinations électroniques pendant que nous tombons, paralysés par la terreur à l’instar des marins d’Ulysse, de Charybde en Scylla.

On ne trouve rien en 5000 ans d’histoire économique pour justifier la croyance que les sociétés humaines doivent adapter leur conduite aux fluctuations du marché. C’est une idéologie aussi absurde qu’utopique. Les promesses désinvoltes de l’économie de marché se sont toutes révélées mensongères. Les entreprises ont délocalisé réduisant à néant notre capacité de production. Les salaires ont baissé, appauvrissant la classe laborieuse et ravageant la classe moyenne. Des secteurs entiers de la population – y compris les étudiants – ont été obligés de contracter des emprunts qu’ils mettront des décennies à rembourser. Des paradis fiscaux se sont créés permettant à des compagnies comme General Electric de ne pas payer d’impôts. Les multinationales emploie une main d’oeuvre esclavagisée au Bengladesh et en Chine et en tirent des profits obscènes. Elles aspirent les dernières ressources des communautés et du monde naturel en laissant derrière elles, comme Joe Sacco et moi avons pu le constater dans les zones sacrifiées, des humians en grande souffrance et des paysages morts. Plus la destruction est importante, plus l’appareil s’emploie à écraser la protestation.

Plus de 100 millions d’Étasuniens – un tiers de la population – vit sous le seul de pauvreté et de ce qu’on appelle “quasi-pauvreté”. Pourtant le sort de ces pauvres ou quasi-pauvres et leurs souffrances sont rarement évoqués par les médias aux mains des multinationales – Viacom, General Electric, News Corp. de Rupert Murdoch, Clear Channel et Disney. Les souffrances des sous-citoyens, tout comme les crimes de l’élite pervertie, sont passés sous silence.

Dans la réserve des Indiens Dakota à Pine Ridge, S.D., le second comté le plus pauvre des États-Unis, l’espérance de vie d’un homme est de 48 ans. C’est la plus basse espérance de vie de l’hémisphère occidental en dehors de Haïti. Près de 60% des maisons de Pine Ridge, dont la plupart sont des huttes en tourbe, n’ont pas d’électricité ni d’eau courante ni d’isolation ni d’égouts. Dans les vieux camps miniers du sud ouest de Virginie, l’eau, l’air et le sol sont si empoisonnés que le cancer y est endémique. Il n’y a pas de travail. Et les montagnes Appalaches d’où provient l’eau d’une grande partie de la côte est, sont parsemées d’énormes bassins artificiels remplis de métaux lourds et de boues toxiques. Pour pouvoir respirer les enfants vont à l’école avec des inhalateurs. Les habitants, coincés à l’intérieur de villes en ruine, souffrent d’une misère et d’une violence assortie d’emprisonnements de masse si grandes qu’ils sont brisés émotionnellement et psychologiquement. Et les travailleurs agricoles de la nation, qui n’ont droit à aucune protection légale, sont souvent obligés de travailler sans être payés, comme des serfs.

Voilà comment se décline l’épouvantable domination des multinationales. C’est ce qui nous attend tous. Dans cette course accélérée vers l’abîme, nous finirons tous serfs ou esclaves.

Chris Edge

Source: Au bout de la route

http://au-bout-de-la-route.blogspot.ca/2013/05/regard-sur-les-usa-les-pauvres-et-la.html

Artem Ogurtsov

http://artreason.livejournal.com/
http://artreason.deviantart.com/
Waouh! Les talents de l’artiste russe Artem Ogurtsov
Un gros coup de coeur

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La route des visages

La route

Rossell canta a Moustaki

«Je l’ai écrite en un après-midi», confiait-il. Ces mots résumaient assez bien la philosophie de Georges Moustaki. Il était humble et aimait cultiver un certain dilettantisme. «En composant Le Métèque, je ne pensais pas susciter des commentaires aussi inattendus que variés, soulignait-il. Au départ, il s’agissait de fustiger certaine personne qui utilisait ce vocable de manière malveillante à mon endroit, en écrivant une chanson d’amour. Mais la créature a échappé au créateur. Ce qui n’était qu’un petit règlement de comptes subliminal est devenu l’hymne de l’antiracisme et du droit à la différence, le cri de révolte de toutes les minorités.» Le Figaro 

Dsm : quand la psychiatrie fabrique des individus performants et dociles

Médecine

Laura Raim

Sommes-nous tous fous ? C’est ce que laisserait supposer la nouvelle version du DSM, la bible des psychiatres recensant troubles mentaux et comportements « anormaux ». Plus on compte de malades, plus le marché de l’industrie pharmaceutique s’élargit. Surtout, le DSM apparaît comme un moyen de faire rentrer dans la norme ceux qui seraient jugés « déviants » – une part de plus en plus grande de la population. Ces « mal ajustés » de notre société orientée vers la rentabilité économique, où l’individu se doit d’être performant et adaptable. Enquête sur un processus de normalisation qui, sous couvert de médicalisation, façonne les individus.

Vous êtes timide ? Peut-être souffrez-vous de « phobie sociale ». Votre tristesse passagère, liée à un événement douloureux comme la perte d’un proche, n’est-elle pas plutôt une dépression ? Le territoire du pathologique semble s’étendre sans fin. Ces troubles psychiatriques sont recensées par le « DSM-5 », cinquième version du catalogue des affections mentales, ouvrage de référence des psychiatres, sorti le 19 mai. Avec son lot de « nouveautés ». Rares sont ceux qui ne se reconnaîtront pas dans l’un des 400 troubles répertoriés ! Avec ses critères toujours plus larges et ses seuils toujours plus bas, le DSM fabriquerait des maladies mentales et pousserait à la consommation de psychotropes, estiment ses détracteurs.

Alors que la première version du « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (Diagnostic and statistical manual of mental disorders – DSM), publié en 1952, ne recensait qu’une centaine d’affections, son contenu n’a cessé d’enfler au fil des révisions, tous les vingt ans. Ses détracteurs pointent le risque de « médicaliser » à outrance des comportements finalement normaux. Selon la version antérieure, le DSM-4 (sorti en 1994), la moitié de la population des États-Unis pouvait être considérée comme souffrant de troubles mentaux, estime l’historien Christopher Lane. 38 % des Européens souffrirait de désordre mental [1] ! Pourquoi une telle inflation ? Sommes-nous en train de tous devenir fous ?

Les critiques du DSM mettent en avant la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques. Ces firmes chercheraient à étendre le « marché des troubles ». Et ont noué à partir des années 80 des liens étroits avec les psychiatres influents, à commencer par les rédacteurs du DSM : 70% des auteurs ont ainsi déclaré avoir des rapports financiers avec les labos [2]. Les ventes d’antidépresseurs et de neuroleptiques aux États-Unis représentent 24 milliards de dollars. En France, elles ont été multipliées par sept en deux décennies, et représentaient plus d’un demi milliard d’euros au début des années 2000. Au-delà des conflits d’intérêts, cette « pathologisation du normal » révèle bien d’autres choses. Avant d’être un outil de diagnostic de maladies mentales, le DSM ne serait-il pas plutôt un dispositif de normalisation des conduites, dans une société orientée vers la rentabilité économique ?

Rentrer dans la norme

Dans ce répertoire des affections mentales, il est davantage question de comportement que de souffrance. Un choix revendiqué par les auteurs : « Pour être le plus objectif possible et s’assurer qu’un même patient aurait le même diagnostic qu’il soit à Paris, New York ou Tokyo, l’Association des psychiatres américains (APA) a décidé d’écarter toute théorie explicative, source de dissensus parmi les différents courants de la pensée psychiatrique, et de rester au niveau de l’observable, sur lequel tout le monde peut-être d’accord. Or l’observable, c’est le comportement », explique le psychiatre Patrick Landman [3]. Président du collectif Stop DSM, il s’oppose depuis trois ans à la « pensée unique DSM ». Se contenter d’observer les comportements pour établir un diagnostic permet d’échapper aux biais culturels, moraux ou théoriques des différents cliniciens. Mais cette standardisation se fait au prix d’une grande simplification de la complexité des problèmes rencontrés en psychiatrie.

L’abondance des troubles du comportement et de la personnalité dans le DSM « est emblématique d’une psychiatrie qui se préoccupe moins de la vie psychique des gens que de leur comportement », ajoute le psychiatre Olivier Labouret [4]. Un comportement qui doit avant tout être conforme à la norme. « Il n’est pas anodin que le DSM n’emploie pas le mot « maladie », qui renvoie à la souffrance ou à la plainte émanant du patient, mais le mot « trouble », qui est la mesure extérieure d’une déviation de la norme, souligne le psychiatre. Le trouble, c’est ce qui gêne, ce qui dérange ».

Quand l’homosexualité était une « affection mentale »

Ces normes développées par la psychiatrie n’ont pas attendu les versions successives du DSM pour se manifester. Dans son cours au Collège de France sur les « anormaux », le philosophe Michel Foucault expliquait comment à partir du milieu du XIXe siècle, la psychiatrie commence à faire l’impasse sur le pathologique, la maladie, pour se concentrer sur « l’anormal » : la psychiatrie a « lâché à la fois le délire, l’aliénation mentale, la référence à la vérité, et puis la maladie, explique le philosophe. Ce qu’elle prend en compte maintenant, c’est le comportement, ce sont ses déviations, ses anomalies ». Sa référence devient la norme sociale. Avec ce paradoxe : la psychiatrie exerce son pouvoir médical non plus sur la maladie, mais sur l’anormal.

Une analyse qui rejoint celle de l’antipsychiatrie américaine. Pour le professeur de psychiatrie Thomas Szasz, les « maladies mentales » ne sont que des « mythes » servant à médicaliser les comportements jugés indésirables ou immoraux au sein de la société [5]. « Le sort de l’homosexualité, inclus puis exclu du DSM au gré de l’évolution des mentalités aux États-Unis, illustre à quel point le manuel reflète moins l’état d’une recherche scientifique sur les maladies que les normes de « l’acceptable » d’une époque », rappelle le philosophe Steeves Demazeux, auteur de Qu’est-ce que le DSM ?.

Traquer les « déviants » ?

Tous les comportements ne subissent pas le même traitement. « Si vous parlez à Dieu, vous êtes en train de prier, si Dieu vous parle, vous êtes schizophrène », écrivait ainsi Thomas Szasz. Et des « paraphilies » (pour ne pas dire « perversions »), telles que le masochisme et le fétichisme, demeurent dans la catégorie des « troubles sexuels », témoignant de la culture puritaine américaine dans laquelle baignent les auteurs, et à laquelle la population est invitée à se conformer. La psychiatrie, qui détecte et désigne les déviants à l’époque moderne, ne ferait selon Szasz que remplacer l’Inquisition qui traquait les sorcières au Moyen-Age. Les inquisiteurs avaient pour guide le Malleus Maleficarum, les psychiatres… le DSM.

Sans doute les normes d’une époque ont-elles toujours influencé le partage des eaux entre le normal et le pathologique. Mais cette influence a longtemps été cantonnée en arrière-plan. Le DSM-3 franchit un cap dans les années 80 en faisant de ces normes les critères directs et explicites de chaque trouble. Un exemple : « Avec le DSM-5, il faut avoir moins de trois accès de colère par semaine pour être un enfant « normal », explique Patrick Landman. Les autres – ceux qui dévient de cette norme – seront désormais étiquetés « trouble de dérégulation d’humeur explosive » ! Et pourront être « normalisés » par des médicaments. En prenant par exemple de la ritaline, cette molécule à base d’amphétamines consommée à haute dose aux États-Unis, pour améliorer la concentration des écoliers. Près de huit millions d’enfants et d’adolescents américains de 3 à 20 ans prennent des antidépresseurs ou des calmants. Le DSM non seulement reflète les normes sociales du moment, mais les renforce en les transformant en normes médicales.

Le « bon fonctionnement de l’individu », un enjeu économique

Un des critères d’une grande partie des troubles – que ce soit la schizophrénie, l’hyperactivité ou le trouble des conduites – est l’« altération significative du fonctionnement social ou professionnel ». Le choix des termes n’est pas innocent : la « fonction » d’un organe, d’un appareil ou d’un outil se rapporte toujours à une totalité subordonnante. On parle ainsi du bon ou du mauvais fonctionnement du foie ou du rein relativement à l’organisme. Parler de la « fonction » ou du « bon fonctionnement » de l’individu trahit le fait que celui-ci n’est pas une fin en soi. L’individu doit « fonctionner » correctement dans l’entité qui le subordonne : l’entreprise, l’école, la société. C’est cela que l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement (EGF) du DSM-4 (datant de 1994) se propose de mesurer. Êtes-vous au « top » de votre « fonctionnement social, professionnel ou scolaire ». Ou celui-ci subit-il une « altération importante » ou « légère » ? Si vous êtes« intéressé et impliqué dans une grande variété d’activités, socialement efficace, en général satisfait de la vie », vous avez des chances d’obtenir une note de 90 sur uneéchelle allant de 0 à 100…

Et votre « fonctionnement social » intéresse au plus haut point votre pays. Car pour les États, c’est leur puissance économique qui est en jeu : « L’Union européenne évalue entre 3 et 4 % du PIB les coûts directs et indirects de la mauvaise santé mentale sur l’économie », indique en 2009 le rapport du Conseil d’analyse stratégique sur la santé mentale. Invalidité, accidents du travail, absentéisme, baisse de la productivité… Autant d’impacts de la santé psychologique des travailleurs sur l’économie. Le rapport évoque les « nouveaux impératifs de prévention des formes de détresse psychologique et de promotion de la santé mentale positive ou optimale. ». Concrètement ? Il s’agit d’investir dans « le capital humain » des personnes, en dotant « chaque jeune d’un capital personnel », dès la petite enfance. Objectif : que chacun développe très tôt les « compétences clés en matière de santé mentale ». Des « aptitudes qui se révèlent in fine plus adaptées aux demandes du marché du travail », explique le Conseil d’analyse stratégique…

Le travailleur idéal : performant, invulnérable et sûr de lui

Et pour cause : l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit en 1993 ces compétences psychosociales comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne ». Autrement dit, « être capable de s’adapter aux contraintes sans jamais questionner le bien-fondé ou la justice de la situation, voilà ce qui est attendu de quelqu’un de « normal », résume Olivier Labouret. Le DSM reflète l’idéal transhumaniste de l’homme que l’on peut programmer et améliorer pour qu’il soit compétitif sur le marché du travail ».

Les patients les mieux « notés » sur l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement du DSM ont « un niveau supérieur de fonctionnement dans une grande variété d’activités »et ne sont « jamais débordés par les problèmes rencontrés ». A la plus grande satisfaction de leur employeur ! « L’homme idéal sous-jacent du DSM est performant, invulnérable et sûr de lui », poursuit le psychiatre. En cela, le DSM traduit une conception évolutionniste de la psychologie : seul l’individu « vulnérable » ou « fragile » n’arrive pas à s’adapter à la réalité socio-économique, puisque la majorité semble y arriver. »

La psychiatrie au service de la productivité ?

Ce normativisme social au service de la productivité économique n’est pas nouveau. Mais la « bible des psychiatres » applique et renforce les normes, de manière systématique et globale. Ses effets sont repérables dans toutes les institutions, bien au-delà de l’hôpital. Aux États-Unis et en Australie, les mutuelles, les tribunaux et les écoles s’y réfèrent pour étayer leurs décisions. Et les gouvernements mènent des politiques de santé publique ciblant des « catégories DSM » de la population.

En France, si le manuel n’a pas encore force de loi, sa présence s’intensifie. « On utilise en France surtout la classification de l’OMS, la Classification internationale des maladies (CIM). Mais celle-ci est quasiment calquée sur le DSM, que la Haute autorité de Santé reconnaît déjà officiellement d’ailleurs, explique Patrick Landman. Le DSM est enseigné dès les premières années de médecine. Tous les généralistes y sont donc formés. « Quant au champ de la recherche, on ne peut pas publier un article si l’on n’utilise pas les codes du DSM. Et les laboratoires, qui financent les formations post-universitaires, ne jurent que par lui. »

La violence du système néo-libéral occultée

Bon nombre de souffrances, difficultés, émotions, traits de caractère ou préférences sexuelles, se retrouvent inscrits dans le DSM, alors qu’ils ne devraient pas relever du champ médical. La grande majorité des praticiens et des patients ne songent pas à questionner le statut de ces « troubles » ainsi officialisés. Ni à remettre en cause les normes sociales qui ont présidé à la formation de ces catégories. Ce sont toujours les êtres humains qui, « inadaptés », souffriraient de « dysfonctionnements ». Ils sont invités à identifier leurs troubles et recourir à un traitement qui leur permettra de rapidement redevenir « fonctionnels »… Notamment sur le marché du travail. Une violence symbolique du système néolibéral, qui se dénie comme telle, du fait de son déplacement dans le champ psychologique et médical, déplore Olivier Labouret. « La pression normative écrasante qui en résulte, désormais occultée, empêche toute possibilité de comprendre et de réformer l’ordre du monde ».

Nous sommes désormais non plus malades, mais « mal ajustés ». Un mot de la psychologie moderne, utilisé plus que tout autre, estime Martin Luther King en 1963 : « Certainement, nous voulons tous éviter une vie mal ajustée, admet-il. Mais il y a certaines choses dans notre pays et dans le monde auxquelles je suis fier d’être mal ajusté (…). Je n’ai pas l’intention de m’ajuster un jour à la ségrégation et à la discrimination. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à la bigoterie religieuse. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à des conditions économiques qui prennent les produits de première nécessité du plus grand nombre pour donner des produits de luxe au petit nombre ».

Laura Raim

Illustrations : © Rodho pour Basta !

Notes[1] Étude de 2011 publiée dans la revue European Neuropsychopharmacology

[2] Lire notamment Jean-Claude St-Onge, Tous fous ?, Ed. Ecosociété, 2013.

[3] Auteur de Tristesse business. Le scandale du DSM 5, éd. Max Milo, 2013.

[4] Auteur de l’ouvrage Le nouvel ordre psychiatrique, éd. Erès, 2012

[5] Son raisonnement est le suivant : pour qu’il y ait maladie, il faut qu’il y ait lésion. De deux choses l’une : soit il y a lésion du cerveau, il s’agit alors d’une maladie du cerveau (même si elle perturbe le comportement, comme l’épilepsie) et non pas de l’esprit. Soit il y a une souffrance mentale mais pas de lésion, alors il ne s’agit pas de maladie.

 

bastamag.net

L’attache involontaire

beauté

 

On s’attache à cette vie, parce que sans doute nous en sommes les constructeurs.

On s’attache à la beauté parce qu’elle n’est que le reflet de ce que nous avons conçus.

Par la mort, – que nous craignons tellement-, nous oublions les quelques cellules desquelles nous sommes nés.

Il est bien d’oublier, sinon la vie ne serait pas ce charme et cet emportement qui nous caractérise.

Rien n’est précis, rien n’est clair, rien n’est fixe, rien n’est beau que par nos appréciations personnelles.

La laideur détermine la beauté des uns.

Le sens de l’Univers est un point d’interrogation qui se demande ce qu’il fait dans une phrase.

Si la vie avait une réponse fixe au « mystère de la vie », ce ne serait pas la vie. Puisqu’elle bouge et échappe, comme dans un jeu de cache-cache.

Nous sommes totalement, TOTALEMENT responsables de cette vie. Mais nous voudrions bien un dieu ou un diable pour lui refiler la facture de nos malheurs.

Gaëtan Pelletier

24 mai 2013

La diarrhée du citoyen : entre la merde des États et la toilette à grands pas…

J’ai commencé à détester le travail le jour où on m’a demandé de travailler plus vite que mon ombre. Mais pire encore, c’est au moment où j’ai pris conscience que le travail n’était plus une tâche partagée entre les sociétaires, mais une tâche vile pour des intérêts tout à fait étranger à ce …NOUS.

J’en suis à me demander si le monde n’a pas inventé les toilettes pour satisfaire au va vite, sorte de diarrhée constante qui fait courir les gens qui commencent à avoir mal au ventre avant de se suicider.

Le stress…

Une invention de cette ère de suicidaires qui cherchent à s’accommoder à la norme : cette « réussite » factice martelée et vendue par des cravatés. Je me méfie de ces « propres » déguisés porteurs de saletés. Ils ont les dents plus blanches que leurs cheveux. Mais en dedans, ils sont plus crasseux qu’une cheminée qui n’a pas été ramonée.

Les métiers du stress

Avec tous ces éclopés de l’âme est apparue une série de nouveaux métiers : psy, travailleurs sociaux, conseillers, redresseurs patentés. Vous être coupable d’être normal. Vous devez courir au travail, mais pas à la toilette.

On se croirait dans un vestiaire d’équipe d’une équipe de hockey avec ses soigneurs, ses docteurs, ses psys…

Le mental. Le mental.

Et les cuisiniers qui préparent des livres de recettes pour panser les « maux » de vivre.

Les trois tyrannies

La tyrannie du profit. L’exploitation est au cœur de la contradiction capital-travail. Le capitalisme n’existe que s’il génère du profit ; mais l’exacerbation de la concurrence en raison de la mondialisation des marchés a accéléré la course aux profits en accentuant les exigences de rentabilité et les pressions sociales qui lui sont liées. A France Télécom, la remise en cause du statut du personnel qui s’est traduite par 22000 suppressions de postes, sur 100 000 en 3 ans et 14000 « mobilités « internes », obtenues de gré ou de force, a beaucoup rapporté aux actionnaires qui, malgré la crise, ont obtenu 4 milliards de bénéfices. Quand la privatisation tue les uns, elle enrichit les autres.

La tyrannie technologique. Nous sommes entrés dans une société de surveillance et de contrôle permanente où notre temps est mis en coupe réglée, en dehors de toute instance de régulation. Ce flicage permanent des gens, ces laisses électroniques, ont engendré une tyrannie technologique qui nous grignote de l’intérieur. Le métier n’existe plus, il n’y a plus que des process. L’emprise des écrans, du « on line », du tout internet, en un mot, l’impérialisme numérique, tue non seulement le lien social, engendre la dépossession des individus, mais appauvrit les savoir-faire. Le métier c’était un savoir-faire : une seule chose dans la durée après un temps long de formation. On s’attachait à ce métier, on en était fier. Aujourd’hui, l’employabilité a remplacé le métier. La qualité du produit a été remplacée par le zapping de la production et le culte de l’éphémère. Le travail parcellisé est devenu hors-sol, sa dématérialisation du travail dans de nombreux secteurs engendre des accidents d’un nouveau type : les accidents psychiques du travail.

La tyrannie de la vitesse. Il faut aller de plus en plus vite, dans tous les domaines. Il n’y a plus de temps mort. Vivre sans temps mort et jouir sans entraves, un des slogans de mai 68 est devenu l’étendard du nouveau capitalisme. Il se traduit par un nouveau rapport au travail. Travailler tout le temps, plus et de plus en plus vite détruit l’organisation traditionnelle du travail. La vitesse engendre la fuite en avant perpétuelle, pour gagner du temps, pour le maîtriser, mais elle revient à sa dictature sur nos existences. Stress, souffrance et suicide: le management de la terreur

Avant c’était mieux…

Vous vous dites que c’est de la nostalgie?

Bien non… Car le cerveau humain a passé des milliers d’années à suivre la lente nature. Il était dans l’obligation de la suivre, d’attendre. Mais elle et ce NOUS étions liés, semblables, de la même souche.

Jusqu’à ce qu’un génie décide de faire pousser les légumes plus rapidement. Il ne les trouvait pas assez pressée  pour son compte en banque. Ou alors, il s’était dit que la nature ne faisait pas de profits à court terme. Vite! Un coup de pouce…

Cette rupture avec la nature a fait en sorte que nous sommes devenus des esclaves  du syndrome du petit coin.

J’ai compris cela à 14 ou 15 ans.

La question est de savoir – dépouillé de toute illusion, conscient – de ce que nous devons amasser en  cours d’existence entre l’âge zéro et le compteur de la mort qui fait retomber à zéro cette machine humaine.

Erreur! Ce n’est pas une machine humaine… C’est une créature intégrée à la création. Elle est en vacances de lumière pour l’aventure de la chair. « L’Homme est supérieur aux anges ».

Un petit coup de bible?

Et quel est le  but de cette  vie ?

Vivre! Mais on ne sait plus vivre. Toutes les pubs sur le « futur », votre futur sont trafiquées.

Personne ne se soucie de votre futur. Ceux qui s’en soucient se rongent les ongles sur leurs tableaux de gains et pertes monétaires.

Vous êtes donc la petite pépite que l’on frotte . On vous soigne pour vos bras… Un esclave mort ne vaut pas cher.

Un esclave éméché ne donne pas grand lumière….

La clef

Il est presque déjà là le jour où le citoyen préfèrera rester chez lui et à ne plus participer au NOUS trafiqué par des ombres d’humains. Cette eau de javel de l’existence.

Je vois tous les jours des analyses profondes, parcellaires, des étancheurs de craquelures, de fentes, de rides, de systèmes.

Ils s’inquiètent de la machinerie humaine.

En fait, ces carcasses d’humais – grand amateurs de calculs – n’ont pas compris que la bêtise est la somme de toutes leurs bêtises. Ce qu’a rapidement flairé le citoyen. Le supposément dupe – ne pouvant changer le « système » préfère migrer en d’autres états d’âmes.

Du fait que la méthode des savants (sic) a toujours été celle du scalpel, ils s’évertuent à régler par tranches le « malade global ».

La foi au compte en banque fait de ce dieu un diable plus noir que les ombres qu’il détruit en jetant par terre les humains.

Couché, plus personne n’a d’ombre…

Il faut un ébouriffant illuminé pour croire qu’un baril rempli d’eau qui coule peut être « réparé » par des avocats payés pour la lenteur des procédures.

L’intelligence  n’est pas de savoir des « choses », c’est de savoir les êtres à travers son milieu, son âme et la dynamique de la chaleur humaine.

Quand cette flopée de « connaisseurs » dits rationnels, aura compris que l’humain est un baril rempli d’eau, et qu’il n’est fonctionnel que dans sa structure matérielle et son contenue limpide, délié et souple, on aura fait un pas…

En attendant, courons tous aux toilettes…